Bien que la gestion des gares
routières soit passée entièrement entre les mains des communes, le paiement
des différentes taxes demeure une épine dans les pieds de certains et une manne
tombée du ciel pour d’autres. De Cotonou à Akpro-Missérété en passant par Porto
Novo et Sèmè-Kraké, l’orthodoxie dans la collecte et la gestion des taxes sur
les gares routières paraît un vœu pieux.
Marie-Louise
Félicité BIDIAS
Du départ des minibus à la gare routière... |
D'une commune à une autre et d’une gare
routière à une autre, les taxes perçues sur les gares routières et leurs
destinations ne sont pas uniformisées, donnant ainsi lieu à des querelles qui,
parfois dégénèrent en rixes.
A la gare de Djevali
(Akpro-Missérété - 50 km à l’est de
Cotonou), d’où partent des minibus en direction de la métropole économique du
Bénin, certains conducteurs soutiennent qu’ils ne « payent plus que la taxe de la mairie de 200 F CFA pour les
minibus et de 100 F CFA pour les
voitures », conformément aux tarifs fixés en 2005 dans la note
circulaire du ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, toujours en
vigueur. Gérard Logbo de l’Association des conducteurs et
transporteurs du Bénin (ATCB) confirme, mais rappelle : « La lutte a été ardue, pour arriver à ce
résultat, le 2 novembre 2019. Les
minibus payent deux tickets de la mairie de 200 F CFA chacun et les petits
véhicules, un seul ticket de 100 F CFA».
A la gare routière de Ouando (Porto Novo,
la capitale - 30 km de Cotonou), la
réalité est toute autre. Alfred Lissassi, conducteur de véhicule de transport,
usager d’une gare improvisée à l’intersection de deux ruelles, pointe du doigt
les disparités observées d’une gare à une autre. « Ici, pour les minibus, nous payons au total 1 500 F CFA et
on nous remet 3 tickets : deux de la mairie et un de Cosycotrab (Syndicat
de conducteurs de taxis) et 100 F CFA de tour du syndicat ». Mais ici,
c’est la taxe de 100 F relative au tour d’embarquement imposée par le syndicat
qui est contestée. « On se demande
où va tout cet argent des cotisations syndicales qu’on nous oblige à payer à
chaque départ », s’agace Alfred
Lissassi, indigné parce qu’aucune reddition de comptes n’a lieu à propos de
cette collecte d’argent. Sans toutefois répondre à ce qui apparaît aux yeux des
conducteurs comme un abus, Abraham Agboakounou, chargé de communication du
Collectif des syndicats de conducteurs, de transporteurs et assimilés du Bénin
(Cosycotrab) et Secrétaire général de l’Organisation des conducteurs de
taxis-ville des communes du Bénin (Octavi) explique. « Il existe des décisions et arrêtés étatiques qui ont permis ce type de
fonctionnement sur les gares routières. Nous y percevons nos cotisations
syndicales. C’est ainsi que nous procédons depuis, même si certaines personnes pensent que ce n’est pas
la bonne méthode».
A la gare de Sèmè-Kraké à la frontière
bénino-nigériane, les « taxes »
sont encore plus élevées. Frédéric Edah, conducteur de véhicule pointe du doigt ce qui, selon lui,
n’est qu’une escroquerie, et qui leur fait débourser pour chaque voiture de 5
places en partance pour Lomé, trois
différents tickets de 1000 F CFA l’unité pour le compte de la mairie de Sèmè et
200 F pour le syndicat. Les conducteurs de gros véhicules sont assujettis à une
taxe de 5000 F CFA. S’appuyant sur l’article 89 de la loi
portant organisation des communes en République du Bénin qui stipule que la commune a la charge de la
réalisation, de l’entretien et de la gestion des gares routières, des
embarcadères et des parkings à caractère local, Crespin Guidi, Secrétaire
général adjoint du ministère de la Décentralisation et de la Gouvernance,
estime qu’il revient aux communes de
prendre leurs responsabilités.
... des tickets de cotisations syndicales... |
Le maire s’étonne
Emmanuel Zossou, maire de Porto Novo, ne
cache pas sa surprise : « C’est
progressivement que je me suis rendu compte que ce qu’ils prélevaient était
supérieur à ce qui est notre droit. Et j’ai corrigé cela avec des tickets de
stationnement et d’entretien des gares ». En effet, l’arrêté municipal
du 02 février 2018 portant création, composition, attribution et stationnement
du Comité municipal de gestion des gares routières de la ville de Porto-Novo,
précise les types de tickets et leur base tarifaire : une taxe de
stationnement de 100 F CFA et une taxe de réhabilitation 100 F CFA par
chargement pour chaque véhicule léger. Ces taxes sont respectivement de 200 F CFA
et 100 F CFA pour les minibus. Chaque gare routière est gérée par un Comité
exécutif composé d’un gestionnaire, d’un auxiliaire des recettes et d’un
contrôleur chargé de vérifier les tickets et d’autoriser les sorties des véhicules
de la gare. Des mesures qui, apparemment, montrent leurs limites. Et pourtant
les conducteurs de taxis ne demandent qu’une uniformisation des taxes à payer
sur les gares routières et surtout de la transparence dans l’utilisation de l’argent
collecté pour le compte des syndicats. « Nous
subissons trop de menaces. Nous nous demandons où vont nos cotisations
syndicales ? », s’offusque Justin Agbo, un conducteur. Marcel
Hounkanrin, président de l’Association des conducteurs et transporteurs du Bénin,
prône la solution radicale : « Nous
avons appelé tous les conducteurs à refuser de payer les tickets syndicaux dans
les gares. Il s’agit pour nous de les amener à ne payer que les tickets de la
mairie. Ils iront payer leurs cotisations syndicales à leur siège, conformément
à leurs statuts et règlements », clame-t-il, tout en appelant à l’aide
les mairies qui ont le pouvoir de requérir la force publique pour mettre de
l’ordre. Ce qu’ont
acté les conducteurs usagers de la gare de Sèmè en suspendant « jusqu’à
nouvel ordre » le paiement des taxes qui les « asphyxient ».
Excédée par le flou qui entoure la gestion de l’argent
collecté auprès des conducteurs, l’ACTB a porté plainte contre la mairie de
Sèmè-Podji et contre le Cosycotrab devant le Tribunal de première instance de
première classe de Porto-Novo et devant la Cour de répression des
infractions économiques et du terrorisme (CRIET). L’issue du
procès sonnerait-elle l’heure de l’instauration de l’ordre dans le secteur ?
Toutes
nos tentatives pour recueillir la position de la Mairie sur ces plaintes ont
été vaines.
Encadré
Des
gares routières privées légitimées
A Cotonou, les gares routières privées
les plus connues sont celle de la Place de l’Etoile Rouge, du Carrefour
Agontinkon et du Carrefour Lêgba. A Porto-Novo, celles d’Adjarra-Docodji et du
Carrefour Saint Pierre et Saint Paul sont les plus en vue. Aucun texte de la
Loi du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du
Bénin, ne mentionne la création de ce genre de structure privée. Pourtant sans
autorisation, des individus et des syndicats de transporteurs ont créé
plusieurs gares connues de tous, où des taxes sont collectées au profit des
mairies sur la base de tickets qu’elles fournissent.
Le maire de Porto-Novo Emmanuel Zossou,
pour sa part, lève l’équivoque qui entoure la création des gares privées dans
sa commune et s’en lave les mains. «Les
gares privées de ma ville ont été autorisées par l’Autorité
préfectorale avant mon arrivée à la tête de la commune », se
défend-il. Ce qui confère une
certaine légalité ou tout au moins une légitimité à ces gares privées. Il promet
mettre de l’ordre dans ce secteur afin de mettre fin à la souffrance et au
rançonnement aussi bien des passagers que des conducteurs. Et comme par
défiance, Abraham Agboakounou, Secrétaire général de l’Organisation des
conducteurs de taxis ville des communes du Bénin (Octavic), jure que son
association envisage installer une gare privée moderne. La fin du calvaire des
conducteurs de véhicules de transport n’est certainement pas pour demain.
Enquête
réalisée avec le soutien de OSIWA
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