Routes des migrants/ Eldorado, cimetière des espoirs enfouis Cotonou, une voie vers la Méditerranée ? (Entre solutions et synergie d’actions)
De nombreux Africains partent chaque année et laissent derrière eux : maisons, villages, villes et pays à la recherche d’une vie meilleure. « Ici, c’est la misère. Là-bas, c’est l’eldorado.», tel est le refrain des migrants prêts à tout pour partir. Ils quittent pour diverses raisons : terrorisme, guerre asymétrique, famine, traite des êtres humains et pauvreté. Certains n’atteignent jamais leur destination, car ils expirent dans les vagues de la Méditerranée sans laisser de traces. Contre toute attente, au nombre des routes qui conduisent vers la Méditerranée, il y a celle de Cotonou au Bénin qui n’a pas les projeteurs de l’actualité, mais qui est de plus en plus active. Que faut-il faire pour une prise de conscience et inverser la tendance ?
Marie-Louise Félicité BIDIAS
Cet article a été publié le jeudi 1er juillet 2021 dans le Journal « L’Afrique en Marche » et a reçu le 3ème Prix du Concours régional de reportage humanitaire organisé par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
Ils sont prêts tout juste pour partir
‘’Pintos’’ est son surnom. Il a 19 ans à
peine. Il y a quelques mois, il vendait des pièces détachées de véhicules aux
feux tricolores de St Michel à Cotonou (République du Bénin). A notre
rencontre, il était vêtu d’un pantalon jean délavé et d’un tee-shirt vert. « Je suis arrivé par la voie maritime par à
une pirogue, en provenance du Cameroun. Je n’ai aucun papier sur moi. Je suis à
Cotonou juste pour deux mois, le temps de me faire un peu de sous et attendre
que mes contacts m’envoient des précisions et de l’argent pour partir. Dès que
c’est bon, je continue la route en prenant un bus pour aller à Bamako au Mali,
puis je traverserai l’Algérie avant de passer de l’autre côté de la mer »,
confesse-t-il.
Il
relate déjà avec passion son voyage, et est prêt à braver tous les dangers. « De l’autre côté, c’est mieux. Ce qui
m’importe, c’est de réussir et je sais que je m’en sortirai. Je ne veux plus
rester en Afrique», poursuit-il.
Mais, quelques semaines après, il est parti. L’un de ses collègues qui a requis l’anonymat raconte : « Il est effectivement parti. Il est arrivé au Mali, puis en Libye. Il a gardé le contact avec nous ses camarades vendeurs à la sauvette. Depuis quelques jours, on n’a plus de ses nouvelles. Son téléphone ne sonne plus. A-t-il réussi à quitter la Libye pour rejoindre l’Europe ? Est-il porté disparu en Lybie ? Est-il mort dans ce pays ? On ne saurait le dire », relate-t-il dans un français approximatif. Après quelques secondes de silence, il déclare tout de go : « La vie est un choix. Il a choisi l’aventure. Je respecte son choix ».
Comme ‘’Pintos’’, ils sont nombreux ceux qui tendent leurs chances pour regagner l’Europe. Mme N’da, la quarantaine, originaire de l’Etat de Calabar au Nigéria, est aide-soignante dans une clinique de la place. Cette mère de quatre adolescents, installée à Cotonou depuis une dizaine d’années, raconte aussi l’histoire de son mari, avec des larmes. Elle se souvient de tout. « Il y a deux ans, je ne sais pas quelle mouche a piqué mon mari. Un jour, il m’a dit qu’il prenait la route de l’exil pour aller en Espagne et que quand tout serait ok, nous viendrons le rejoindre. J’ai tout essayé pour l’en dissuader, mais rien n’y fit. Il est effectivement parti et il nous appelait chaque semaine pour donner de ses nouvelles, sans aucune précision sur l’endroit où il se trouvait. Puis un jour, plus rien. Et je suis allée voir ses amis qui ont commencé à chercher des contacts de passeurs. Ceux-ci ont promis de retrouver son contact téléphonique. Après deux semaines, ils m’ont annoncé qu’au terme de leurs recherches qu’ils ont appris qu’il était décédé en Méditerranée lors de la traversée vers l’Espagne et a été même déjà enterré».
Face
à ces contingences, Mme N’Da a dû repartir au village avec ses enfants pour des
cérémonies funèbres traditionnelles, avant de revenir quelques mois après à
Cotonou pour se lancer dans le commerce informel de vivres et de divers entre
le Bénin et le Nigéria. « C’est très dur,
la douleur est là d’autant plus que nous n’avons pas vu sa dépouille mortelle.
Souvent, je me dis que c’est un rêve et que je le verrais un jour revenir»,
poursuit-elle tristement.
Mamath, originaire de Djougou, au nord du Bénin, vendeur d’essence à Sainte Rita, un quartier de Cotonou, raconte aussi son aventure : « Ma famille et mes amis ont cotisé pour moi, car j’avais décidé de partir en Algérie, dans l’optique de traverser la Méditerranée. J’ai souffert toutes sortes de tortures et de tourments. J’ai failli mourir là-bas. J’ai été arrêté et rapatrié au Bénin. Je ne suis plus prêt à recommencer une telle aventure », soupire-t-il.
Elphège Quenum, un père jésuite se désole : « C’est dommage que l’Afrique perde ses enfants sur la route vers un autre continent, alors qu’elle ne manque de rien pour les garder et favoriser leur épanouissement. C’est une perte pour le continent ». Selon la Croix rouge, la perte ambiguë laisse perdurer le doute, le proche disparu étant peut-être encore en vie quelque part. Sans preuve tangible de décès, la famille ne peut pas organiser de cérémonies d’inhumation ni entamer le processus de deuil.
Koffi Benoît Sossou dans « Travailleurs migrants au Bénin : contexte et défis », estime que le Pacte Mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui a été adopté en 2018 par 164 pays, dont le Bénin, présente la première tentative multilatérale d’attaquer le problème de la gouvernance, de forger un cadre multilatéral de coopération et de garantir les droits internationaux de l’homme et du travail aux migrants. « Comme le Pacte n’a pas de force contraignante, les réponses à la migration demeurent largement nationales et les luttes pour des conditions de vie décentes pour les migrants dépendent de la volonté et des capacités des Etats à intégrer la migration dans leurs politiques publiques », expose-t-il encore.
À mesure que les voies légales de migration ont diminué, les migrants sont en proie aux contrebandiers et aux trafiquants d’êtres humains. Le Haut-commissariat des réfugiés (HCR) lance une alerte, préoccupé par le nombre croissant de décès de migrants. En 2021 près de 500 personnes ont perdu la vie durant leur tentative de traversée en Méditerranée centrale, contre 150 durant la même période en 2020. On note une augmentation de plus de 200%.
Pour le Père Elphège Quenum : « C’est à croire que les migrants Africains acceptent tous les risques pour franchir le désert et la mer afin de se retrouver en Europe. C’est à croire aussi que les problèmes qui les poussent sur la route sont plus graves et insupportables que l’insécurité à laquelle ils font face dans leurs déplacements. » Il relève aussi le désintéressement des Etats africains : « Cela relève simplement de la démission, de l’impuissance et de la mauvaise volonté politique. Nos leaders politiques ferment les yeux sur la saignée de leurs populations sur les routes de l’Europe. Ils estiment peut-être qu’ils n’y peuvent rien ou se sentent incapables d’apporter une solution au phénomène et aux causes ».
Par ailleurs un cadre du ministère de l’Intérieur et de la sécurité publique estime que le succès dans la lutte contre le phénomène de trafic illicite de migrants se fonde également sur une coopération sans faille et sans limites entre nos services et les autres Etats.
Et l’Union Africaine dans tout ça ?
Le Haut-commissaire des Affaires sociales de l’Union africaine, Amira Elfadil, en introduction du document sur « le Cadre de politique migratoire pour l’Afrique révisé et plan d’Action (2018-2030) de l’Union africaine », affirme que ce sont une multiplicité de facteurs tels que les conditions socio-économiques défavorables, l’instabilité politique, les conflits et les troubles civils que les migrations ont augmenté sur le continent africain. Pour certaines communautés, la migration est devenue une stratégie de survie. « Pourtant, si elles sont gérées de manière cohérente, les Nations et les régions peuvent tirer parti des liens entre la migration et le développement alors que le continent s’efforce de réaliser les idéaux de l’Agenda 2063. Et le Cadre de politique migratoire pour l’Afrique (2018–2030) est l’un des cadres continentaux qui offrent au continent une excellente occasion d’y parvenir », argumente-t-elle.
Solutions envisagées
Pour Elphège Quenum, père jésuite, afin d’envisager une solution à la ruée des Africains sur les différentes routes de l’Europe, il est bon de déterminer les raisons de ce déplacement massif qui inquiète. C’est une situation complexe qui relève des politiques internes et externes des pays africains.
L’Union
africaine pense que le trafic de migrants peut être évité en élargissant les
voies de migration légales et en sensibilisant sur ses dangers. En outre, il
est recommandé d’améliorer l’identification des cas de trafic de migrants,
ainsi que l’enquête et la poursuite des trafiquants tout en assurant la
protection des droits des migrants faisant l’objet d’un trafic.
Le Comité international de la Croix Rouge (CICR), pour aider les familles à surmonter ces disparitions, estime qu’il faut organiser des ateliers de sensibilisation des leaders communautaires. L’objectif étant d’utiliser le soutien communautaire pour renforcer les capacités des familles des migrants à faire face aux difficultés engendrées par la disparition d’un proche et à reprendre progressivement l’équilibre psychosocial. Pour le CICR, ils doivent : « apprendre à vivre avec l’incertitude en utilisant leurs propres ressources et celles disponibles au sein de la communauté locale comme nationale».
La solution prônée par contre par le HCR est de rétablir un système d’opération de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale, coordonnée par les Etats. Selon l’organisation internationale, il urge de mettre en place la solidarité d’autres Etats membres de l’Union européenne. « La détérioration de la situation en Libye continuera à forcer les personnes à recourir à des mesures désespérées pour une quête de sécurité ».
Pour l’UA, étant donné que le nombre de migrants augmente et que cette tendance risque de persister, la gestion des migrations est l’un des défis les plus critiques pour les Etats. Elle nécessitera des politiques de migration bien planifiées, qui soient élaborées et mises en œuvre à travers une approche gouvernementale intégrée, et une coopération approfondie avec les pays de destination.
Pour éviter morts d’hommes et disparitions, les politiques et pratiques de la gestion des migrations devraient respecter les droits humains de tous les migrants. De même, elles devraient mettre en place des mécanismes de déclaration et de responsabilisation qui leurs sont favorables, qui traitent des abus et de leur exploitation par les responsables de la sécurité et les policiers. Non sans oublier de renforcer la dimension locale des politiques et stratégies de migratoires.
Il est évident que bien gérées, les migrations peuvent générer des avantages significatifs aussi bien pour les pays d’origine que ceux d’accueil.
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