La biométrie est
de plus en plus utilisée pour identifier une personne sur un ensemble de
données reconnaissables et uniques. Le
Bénin utilise cette technologie dans l'émission des passeports. Mais, pour le
simple citoyen, fiabilité, rapidité et utilité sont-elles vraiment garanties
avec ces titres de voyage ? Enquête.
Marie-Louise
Félicité BIDIAS
Le passeport ordinaire biométrique fiable et sûr ...
Un certain après-midi du début du mois de mars 2020. À
Cotonou, le soleil brûlant est au rendez-vous. Devant la Direction de
l'immigration-émigration, il règne un calme olympien. Hommes, femmes, jeunes et
vieux, de diverses races sont agglutinés.
Des points communs les réunissent : établissement, renouvellement des passeports
pour les nationaux et délivrance de titres de séjour pour les étrangers. "Uniquement les concernés entreront
ici", clame un agent de police bloquant le petit portail. "Si vous êtes venus accompagner une
personne majeure, s'il vous plaît, veillez retourner sur vos pas
tranquillement. Elle même sait parler et s'exprimer", déclare-t-il.
Son ton ferme ne permet à personne de répliquer. Et de poursuivre : "Nous accepterons seulement les
accompagnants pour les mineurs et les personnes âgées. Le reste, rentrez chez
vous ! " Le décor ainsi planté laisse déjà présager à l'entrée que
contrôle d'identité et fermeté sont de rigueur !
Le Bénin, tout comme d'autres pays dans le monde, pour
contrer la fraude documentaire, le vol d'identité, les menaces de terrorisme et
de cybercriminalité, utilise la biométrie pour émettre les passeports. En
effet, depuis novembre 2017, tous ceux qui sont émis à la Direction de
l'immigration-émigration du Ministère de l'Intérieur et de la sécurité publique
sont biométriques. Même si c’est dès 2014 que
l'émission a débuté pour certains, alors que d’autres ne l’étaient pas.
L'identité numérique en question
Le problème de l'identité numérique en Afrique et au
Bénin se pose toujours avec acuité. La Banque mondiale affirme que" le continent compte à lui seul, la moitié des 1,1 milliard de personnes
dans le monde incapables de prouver leur identité". Au Bénin, pour y
pallier, les divers gouvernements qui se sont succédés jusqu'à ce jour, ont mis
en place des opérations pour aider les milliers de personnes dépourvues de
titres de naissance à les acquérir. Le cabinet spécialisé Acuity Market
Intelligence, focalisé sur le marché des technologies d’identification, témoigne "que
le seul marché des papiers d'identité biométriques et numériques est estimé à
1,4 milliards d'euros en Afrique".
De l'établissement
Document doté d'une composante électronique contenant
toutes les données relatives à l'état civil ainsi que la photo d'identité au
format numérique et les empreintes digitales, le passeport biométrique est
une pièce incontournable.
La Commissaire Ghislaine Bocovo, Chef de service Titres
de voyage à la Direction de l'immigration-émigration, affirme qu'en 72 heures,
un citoyen peut retirer son passeport biométrique ordinaire à condition que
toutes les pièces fournies soient conformes.
"Une fois la demande
introduite, le processus suit 5 ou 6 étapes, selon les cas",
souligne-t-elle. Au poste de pré contrôle, le processus est fait en présence du
postulant. Les dossiers réceptionnés sont vérifiés pour voir si toutes les
pièces requises y figurent. C'est la vérification sommaire d'identité qui
permet également de s'assurer que le postulant est bien béninois. Au poste
d'enrôlement, on enregistre les dossiers biométriques : l'identité, l'adresse,
la filiation dans la base de données. "À
ce niveau, nous arrivons à détecter des faux ", précise la
Commissaire. Concernant la protection de la vie privée, la responsable de la
police ajoute que toutes les mesures de sécurité sont prises. "Nous avons même écrit à l'Autorité de
protection des données à caractère personnel. Nous avons reçu l'autorisation".
À cette étape, un récépissé est remis au postulant pour vérifier le niveau
d'avancement du dossier au guichet.
Puis, la session d'étude et de validation procède à
l'étude minutieuse des pièces fournies en vérifiant leur conformité et
authenticité. "S'il existe des ambiguïtés,
nous demandons à rencontrer les parents pour s'assurer de l'authenticité de
l'acte, pour savoir si les informations sont vraies ou fausses",
poursuit la commissaire Bocovo. Selon elle, à l'impression du passeport, il y a
tellement de clés de sécurité pour qu’un faussaire ne puisse y accéder. "Le système est fiable et sécurisé",
rassure-t-elle. "À chaque étape du
processus, nous pouvons détecter des faussaires. Il y a des questions à poser
pour voir si les pièces fournies appartiennent au postulant."
Au service d'impression, un contrôle de qualité est fait
par rapport au dossier physique et aux données numériques. Il faut vérifier si
les inscriptions, la saisie des données sont validées et conformes. "En cas de détection d'anomalies, le dossier
est renvoyé au service étude et validation avec le motif du rejet", souligne Ghislaine Boccovo. On procède à la
lamination et des clés de sécurité rentrent encore. Une fois prêt, le passeport
est renvoyé avec le dossier de base pour être remis. À ce niveau, il faut
prendre les empreintes pour les conformer avec les données du postulant. C'est
encore un autre type de contrôle. "La
vérification verbale d'identité est faite encore pour s'assurer que c'est la
même personne". Si la personne
n'est pas disponible, il faut une procuration signée à la mairie ou du
tribunal.
Le numérique à l'ordre du jour
Roméo Kintohoundji, président de l'Association béninoise
pour la promotion du numérique, précise que depuis l'avènement de Patrice Talon
au Bénin, le numérique est un pilier important du plan d'action du gouvernement
avec un accent particulier sur le volet cybercriminalité. "C'est
ce qui explique la création de plusieurs agences". Au nombre de
celles-ci figurent l'Agence nationale pour la sécurité des systèmes
d'information (Assi) et le Centre de réponse aux incidents informatiques ou
Computer system incident reponse team (Bj.Csirt). Ce sont les pompiers
informatiques du Bénin. "Quand un
site du gouvernement est piraté ou est en voie d'être attaqué, c'est le Bj.Csirt
qui intervient. "Beaucoup d'autres agences ont été créées à travers le
Code du numérique pour lutter contre la cybercriminalité. En témoigne la 8e
place du Bénin en matière de cybersécurité sur le continent africain, d'après
une enquête réalisée par l'Union Internationale Des télécommunications (Uit)
".
Un parcours à l'allure de combattant
Si en 72h, certains citoyens béninois retirent leur manne
rare, pour d'autres, ce n'est pas du tout aisé. En témoigne Venance Tonogbé,
journaliste. "Pour l'établissement
de mon passeport biométrique ordinaire, j'ai fait environ un an, en train
d'effectuer des navettes entre Cotonou et Abomey (ville située à environ 200km
de Cotonou). Je ne disposais pas de la souche de mon acte de naissance, pièce
maîtresse, qu'il fallait fournir dans le dossier. Il m'a fallu retourner à la
mairie d'Abomey, lieu d'établissement de mon acte de naissance. Là, à ma grande
stupeur, les autorités m'ont signifié ne
l'avoir plus retrouvée. J'ai donc adressé un courrier à la mairie, pour qu'elle
puisse procéder à l'annulation de ce numéro qui n'existe plus",
soupire-t-il. Et aussi écrire au Tribunal pour le leur signifier que je n'avais
pas ma souche. Il fallait donc que le Tribunal leur accorde l'autorisation de t'établir
une nouvelle souche. "La mairie m'a
délivré un papier que j'ai déposé au Tribunal".
C'est à ce moment-là que son calvaire commence. Pour que
le procureur accorde son autorisation, il faut faire un procès en bonne et due
forme. "J'ai été convoqué en
audience pour justifier que je suis bel et bien Béninois, ceci, avant que le
tribunal n'autorise qu'on annule mon ancien acte de naissance et que la mairie
me refasse une nouvelle souche." Il y a des frais à payer, il faut
aussi être programmé pour le procès, sans compter les reports d'audience. "Banalement, pendant près d'un an, j'ai
effectué des navettes entre ces deux villes", affirme Venance Tonogbé.
L'audience finalement a eu lieu et la mairie d'Abomey a été autorisée à lui
délivrer la pièce requise. Pour cette étape, il a fallu également se rendre
plusieurs fois au bureau de la municipalité et au tribunal.
C’est après ce long parcours que M. Tonogbé a enfin
déposé son dossier de demande de passeport à la Direction de
l'immigration-émigration, pensant être sorti de l'auberge. Mais, deux jours
plus tard, son dossier est rejeté avec comme motif que : "son nouvel extrait d'acte de naissance et la
souche ne portent pas le même numéro". Il lui est alors demandé
d'annuler sa carte d'identité nationale et d'établir une nouvelle à la Préfecture
de Cotonou. Il s'exécute et joint la nouvelle pièce à son dossier. Enfin, au
bout de 72h, il obtient son passeport biométrique ordinaire !
"Ce n'est pas toujours aisé d'obtenir un
passeport, surtout quand vos pièces ne sont pas à jour", déclare aussi
Paulin Gbéji, vendeur de pièces détachées, à Porto Novo. "À mon niveau, c'était aussi le problème de
souche de mon acte de naissance qui avait compliqué, l'établissement de mon
passeport. Je ne sais pas comment à l'époque mes parents m'avaient établi mon
acte de naissance. La souche qui était là ne correspondait pas au numéro de mon
acte. Il a fallu aussi la procédure du tribunal qui a été longue et pénible,
mais j'ai fini par l'avoir et j'ai pu voyager".
Sur une population de près de 12 millions d'habitants
(Dernier recensement général de la population et de l'habitation), le nombre de
personnes en possession d'un passeport n'est pas encore très élevé. Le Chef de
service Titre de voyage à la Direction de l'immigration-émigration, Ghislaine Bocovo,
affirme qu'en 2019, environ 49. 000 passeports biométriques ont été délivrés
contre plus de 43. 000 en 2018 et plus de 51. 000 en 2017. "Nous faisons diligence pour satisfaire les
postulants"! Il nous a été est difficile de trouver des chiffres pour
faire des comparaisons entre l’émission des passeports biométriques
actuellement et les anciens passeports ordinaires non biométriques.
Le cas de la diaspora
Les Béninois de la diaspora peuvent s'adresser aux
représentations diplomatiques pour déposer leur demande de passeports.
Libreville, Prétoria, Berlin, Londres, Washington, Paris, Moscou et Beijing. Selon leur position
géographique, ils peuvent s'y faire enrôler par le biais d'un système mis en
place. "Les kits d'enrôlement ont été installés et le personnel a été
formé pour, les dossiers étant récupérés par le biais d'un système. Les données
physiques envoyées par une compagnie de courrier rapide sous forme de valises
diplomatiques. "S'il n'y a aucun
problème, après la personnalisation, les dossiers sont envoyés au secrétariat
du service des Titres de voyage qui préparent le retour par la même voie. La
compagnie les achemine à ces représentations qui procèdent à leur restitution.
Là aussi en 72h, un Béninois de la
diaspora peut aussi obtenir son passeport", précise-t-elle.
Le Code numérique pour encadrer
Au Bénin, la loi 2017-20 portant Code du numérique, est
venue marquer de nettes améliorations à plusieurs textes et arrêtés, concernant
le numérique. Le document lourd de plus de 600 pages a prévu des sections sur
les données personnelles des utilisateurs, la protection des données à
caractère personnel, les autorisations de protection des données à caractère
personnel. Sur le principe de confidentialité et de sécurité, l'Article 385
stipule que : "Les données à
caractère personnel doivent être traitées de manière confidentielle et être
protégées". L'article 411 explique le traitement des données à
caractère personnel pour le service public. L'article 425, parle de
l'obligation de confidentialité. "Le
traitement des données à caractère personnel est confidentiel. Il est effectué
exclusivement par des personnes qui agissent sous l'autorité du responsable de
traitement et seulement sur instruction, sauf en vertu d'obligation légale
contraire". Ainsi, l'Autorité de protection des données à caractère
personnel (Apdp), veille à l'application des dispositions du présent livre et
au respect de la vie privée en générale sur le territoire béninois.
Pour quelle utilité ?
Depuis 2017, plus de 120 pays dans le monde ont adopté le
passeport biométrique. Roméo Kintohoundji, président de l'association béninoise
pour la promotion du numérique (Abcpn), se réjouit d'être en possession d'un
passeport biométrique. "J'ai eu la
chance de m'en servir plus d'une fois.
C'est même une fierté de nous rendre dans les pays européens et voir que
nous soyons en possession d'un tel titre de
voyage. Cela, prouve le sérieux de ce qui se fait au Bénin". Beaucoup plus
d'informations sont prises en compte, cette fois-ci ", estime-t-il.
Grâce à la biométrie, le passage aux frontières et à
l'aéroport est maintenant accéléré. On entre ou on en sort par le biais de
portiques. Le principe utilisé est la reconnaissance par comparaison du visage
et/ou des empreintes. C'est ainsi que les scanners d'empreintes et des caméras
installés aux postes captent un certain nombre d'informations. Ceci permet
d'identifier de manière plus précise l'ensemble des voyageurs entrant ou
sortant du territoire national, toutes choses qui amènent à s'assurer la
sécurité intérieure, détecter les indications d'identité.
Enrôlement à la base
Mais, il reste que
beaucoup de Béninois ne disposent pas d'acte de naissance, gage de l'identité
numérique. Pour faire face à cette insuffisance, le gouvernement a autorisé la
reconstitution des actes de naissance dont les souches sont détruites, altérées
ou disparues. C'est à cet effet que la loi N0 2018-26 portant autorisation d'enregistrement à titre
dérogatoire à l'Etat civil au Bénin a été promulguée. C'est le Projet
d'enregistrement dérogatoire à l'Etat civile (Pedec) qui est chargé de sa mise
en œuvre. Ce sont près de deux millions et demi d’actes qui seront ainsi
distribués sur toute l'étendue du territoire national.
La suite …
Du fait du retour rapide sur investissement, Joseph Atik,
président de Identity for all africa (Id4 Afric) estime que "les pays africains n'ont pas besoin
d'aides financières importantes pour mettre en place des systèmes d'identification biométrique, mais seulement d'un
capital d'amorçage". Somme toute, ce sont encore les géants
internationaux qui décrochent les contrats liés à la reconnaissance digitale et
faciale, en attendant toujours l'émergence de challenger africain ! Une
approche innovante de la sécurité intégrant solutions technologiques et
processus adoptés aux enjeux nationaux peut permettre aux citoyens de jouir des
avantages de leur identité numérique !
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