Littérature : ‘’L’amour aux prises avec la précarité’’



"Femmes''. Deuxième roman d’Okri TOSSOU. Après Syram, le professeur-romancier nous livre une prose narrative (de bonne qualité bien sûr) comme témoignage d’une plume traçant, au fil des publications, la courbe de sa maturité. Publié aux éditions Plumes Soleil en 2013, ce roman campe des personnages ballottés par le désir de se  soustraire au malaise existentiel et la rage d’accéder à une certaine réalisation sociale sur fond de quête amoureuse et professionnelle.

Jean-Paul Tooh-Tooh


L'écrivain Okri Tossou

     
Une œuvre qui coule de source en empruntant des itinéraires thématiques et narratologiques dignes d’une société aux prises avec ses propres contradictions. L’auteur revisite le thème de l’amour en l’enracinant dans le quotidien trop austère d’une catégorie de gens pris dans l’engrenage du chômage, du viol, de la prostitution et du dénuement. Irétan, Tayé, Ifè sont tous des rescapés des tribulations de toutes sortes.

      Femmes est surtout une réflexion sur la condition féminine dans une société où le sexe est profondément ancré dans les mœurs ; une société où l’amour est synonyme de prise en charge ; une société dans laquelle les hommes ne regardent les femmes qu’au prisme éphémère de leurs fantasmes et de leur libido ; une société dans laquelle les femmes ne considèrent les hommes qu’à l’aune de leurs propres intérêts et besoins. Tayé affirme : « Je ne ressens plus de la pitié pour un homme. Je les considère tous comme de la vacuité. Tel s’approche, ébauche un sourire de mendiant, en te promettant de t’aimer toute la vie ; tel te sourit, qui te croit dupe au point de croire à sa sollicitude subite, alors que ses yeux, sans pudeur, cachent à peine l’extase qui les gagne à parcourir tes courbes et rondeurs ; tel autre, plus arrogant, promet de te rendre heureuse, comme si tes parents sont allés lui dire que tu risquais d’être pitoyable dans la vie ! Les hommes ! […] Ils valent moins que des insectes, pour moi. Il m’arrive de les regarder droit dans les yeux quand ils commencent leur baratin. J’y vois leurs cils qui s’érigent parfois comme pour me supplier de croire en eux. Les hommes ! Sont-ils vraiment ainsi créés ou exagèrent-ils ? Ne pas pouvoir tenir une seconde devant les arguments corporels d’une femme ! « Où veux-tu que je t’amène, mon amour ? », « Dans quel hôtel souhaites-tu te reposer un instant ? ». Alors qu’il n’a peut-être pas encore payé la deuxième tranche de la scolarité de son cadet !... » (Page 37).

       Femmes est un programme esthétique qui témoigne de la veine sarcastique de l’auteur, un sarcasme de mots et de maux sous-tendu par des réflexions (parfois ironiques) sur la situation sociopolitique d’une société bien précise, d’un espace géographique vraisemblablement  imaginaire. Une langue désopilante portée par un narrateur-personnage (Irétan)  qui s’ouvre à l’amitié du lecteur, l’interpelant ou le prenant à témoin à chaque phase du récit.

       Okri TOSSOU étant professeur de lettres à l’Université d’Abomey-Calavi, on comprend aisément pourquoi le roman est émaillé de réminiscences littéraires ; ce qui témoigne d’une connaissance encyclopédique. Les traces de nombreuses lectures.

        Le lecteur sera aussi surpris (et surtout séduit) par le découpage du récit en six chapitres portant chacun un titre aux accents zoomorphes : Queue de lion, Démarche de crabe, Teint de  zèbre, Patte de canard, Saut  de singe, Couche de gazelle. Un zoomorphisme hilarant et puissamment métaphorique qui peut suggérer l’absence d’humanité qui régit de plus en plus les rapports sociaux dans la jungle du monde ; un monde d’hommes et de femmes dont la psychologie et les habitudes sont calquées sur le modèle animal. L’expression d’une crise des valeurs.

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