Gestion des déchets biomédicaux au Bénin : Un pas en avant deux pas en arrière



 Bien que le secteur hygiène et assainissement de base soit bien organisé au Bénin,  la gestion des déchets biomédicaux demeurent un casse-tête. Plusieurs stratégies, tantôt audacieuses, tantôt réalisables, ont vu le jour, mais le secteur est toujours à la traine. Une descente dans les trois villes à statut particulier du Bénin (Cotonou, Porto-Novo et Parakou), indique le niveau du mercure.

Prisca M. NEKEYAN
           

                              Un incinérateur de type artisanal utilisé par une clinique

Ce mercredi du mois de décembre, jour de collecte des ordures biomédicales de la clinique Anastasia  de Parakou,  l’écho des cris du Docteur Aude Dandjinou se fait entendre au loin. Au fur et à mesure que Pauline se rapproche, elle aperçoit l’agent de collecte des ordures qui attache vigoureusement une cinquantaine de perfuseurs sur le poignet de son tricycle. Sous le poids des bouteilles de sérum, des sachets contenant des déchets de couleur  indescriptibles et nauséabonds, son tricycle croule. « C’est grave ce que vous faites-là ! Vous allez vous infecter ! Les déchets de l’hôpital ne se manipulent pas comme ça. Où sommes-nous et dans quel pays, nous trouvons-nous ?», clame le médecin, visiblement choqué. « Que voulez-vous faire avec ces perfuseurs attachés-là ? », poursuit-il, en tendant ses mains vers le tricycle. Avec un sourire narquois, le jeune homme, la vingtaine, chaussé de samaras et manipulant ses ordures avec des gants jaunes troués de toute part, lui répond : «  Ah chef, c’est mon bénéfice. Je ne gagne pas grand-chose, nous les vendons aux taxis-moto. Ils aspirent l’essence  du réservoir à l’aide de cela ».
De telles scènes similaires se retrouvent dans plusieurs centres de santé privés au Bénin. Dans la zone dite « Mahoulé », près du grand marché international Dantokpa de Cotonou, dans une ruelle, des vendeuses de bouteilles de sérum, de pénicilline et d’autres flacons de médicaments, s’activent. Avec de la poudre de lessive et une eau jaunâtre d’origine douteuse, elles lavent divers flacons. La première étape consiste, à l’aide d’un coutelas, à enlever le contour du bouchon en aluminium. Au risque de se blesser et au besoin, elles tirent avec leurs dents, les contours résistant au couteau.  A la deuxième étape, elles retrempent les bouteilles dans un récipient rempli d’une eau beaucoup plus clairsemée. Ces bouteilles, séchées sur des sachets plastiques au bord de la voie sont, plus tard, mises en vente pour de multiples usages. «Je n’ai jamais appris que l’utilisation de ces bouteilles est nuisible pour la santé. Je n’ai jamais vu ou entendu parler que leur utilisation est dangereuse », déclare dame Elisabeth, vendeuse de bouteille. Avant de poursuivre : « L’aiguille des sérums accompagne chaque bouteille. Nous essayons de les ôter avant de nettoyer la bouteille. Il y a même des bouteilles d’antibiotiques dans lesquelles nous conservons des condiments en poudres ». Elle respire un moment et après une hésitation profonde, elle chuchote : «Pour avoir ces bouteilles, les gens viennent ici, et me proposent d’en acheter. Il y a des aides-soignantes et même des apprentis qui viennent me les vendre».
Non-respect de normes de collectes de traitement des déchets biomédicaux, mauvaises conditions de ramassage des ordures collectées, méconnaissance des risques liés aux mauvais recyclages des déchets hospitaliers, sont quelques constats observés de part et d’autres dans les structures sanitaires au Bénin.

La gestion des déchets en question

Pour les spécialistes en santé publique, la gestion des Déchets biomédicaux (Dbm) est « l’ensemble du processus visant à garantir l’hygiène des structures sanitaires, la sécurité du personnel soignant et des communautés, cela depuis le traitement des déchets de leur production à leur élimination ». Le décret du 15 novembre 2002 sur la gestion rationnelle des déchets biomédicaux, l’exprime si bien  en considérant comme déchet biomédical tout déchet d’origine biologique ou non résultant des activités médicales ou paramédicales. Ils sont  constitués des déchets liquides et/ou solides, à risque infectieux ou non, provenant de produits de diagnostic, de traitement, de prévention ou de recherche en matière de santé. Dans les différents centres de santé, la composition des déchets biomédicaux est  quasiment la même au niveau des structures sanitaires avec quelques variations au niveau du CNHU de Cotonou, CHD de Parakou et CHD de Porto novo. Là, les déchets présentent une spécificité à cause de l’importance de la production dans ces centres. Les éléments couramment rencontrés sont des seringues, aiguilles, flacons d’ampoules injectables, des matières plastiques (gants, pochettes à sang, pochettes à urine, tubes, etc.). De même que du coton, des compresses, des emballages vides et d’autres déchets (plâtre, organes humains).
Docteur Justin Gbégnon précise qu’« Il existe des dispositifs (contenant en plastiques, sachets et boites de sécurité) de différentes couleurs pour recueillir ces différents déchets suivant les normes de l’OMS afin d’effectuer le tri à la source. Il existe ensuite d’autres bocks pour l’entreposage initial avant la collecte hebdomadaires de ces déchets.» Une assertion qui réconforterait plus d’un !

                    Des récipients de couleurs pour le tri de déchets biomédicaux

L‘incinérateur a cessé de fonctionner depuis 1993

Les problèmes de gestion des Dbm ont été observés à tous les niveaux. A la clinique Déo Gracias de Parakou, l’infirmière dans  sa blouse  blanche s’affaire. Elle est  submergée et les patients s’impatientent, des bébés en pleurs, et dans un élan rapide, elle crie : « suivant ».  C’est alors que la mère avance avec son enfant. Jetant un coup  d’œil dans la salle de soins, elle aperçoit un amoncellement de seringues sur  le bac. Sans gêne, elle se retrouve en rupture de seringue. Elle soulève des cartons çà et là et enfin découvre des seringues déjà utilisées dans une boite. « Ah ! Lorsque c’est leur tour de garde, ils ne prennent pas le soin de vider les corbeilles de seringue » s’exclame-t-elle et d’un coup sec retrouve une seringue. De ses explications, il ressort que pendant la collecte, il n’y a ni identification, ni de tri. Les poubelles sont disposées un peu partout. Au fond de la cour, pleines à ras-bord, à ciel ouvert où les déchets sont périodiquement brûlés. Paulin Mbassy, agent d’entretien, explique : « Il y avait une
machine, ‘’venue de France’’, avec laquelle nous brulons. C’était un don que nous avions eu. On appelait ça... » Il cherche le nom et le trouve enfin « incinérateur, oui c’est ça. Mais, il  a cessé de fonctionner depuis 1993. Nous avons abandonné la machine derrière ». Il gesticule en montrant le lieu. « Et c’est une ONG qui ramasse maintenant les déchets trois fois par semaine.  Quand elle traine nous les mettons certains dans la fosse sanitaire au fond de la cour et d’autres dans le four artisanal et cela fait beaucoup de fumée », soupire-t-il.
Le responsable de la clinique affirme que les besoins restent entiers pour les aides-soignants et, le personnel d’entretien de cette clinique privée. Ils n’ont bénéficié d’aucune formation sur la Gestion des déchets biomédicaux. Ce que le Plan national de développement sanitaire du Bénin de 2006 à 2018 (Pnds) confirme en évoquant  le manque de formation des agents de santé sur la gestion des déchets biomédicaux comme l’une des principales causes de la situation  .
C’est dans cette optique que le Ministère de la Santé  a élaboré un Programme national d’hygiène et d’assainissement de Base (Pnhab) qui accorde une priorité élevée à la gestion des Dbm et une Politique Nationale d’Hygiène Hospitalière. Sa vision est d’avoir des structures sanitaires conformes aux normes, propres au sein desquelles les risques infectieux sont réduits autant que possible.  Eut égards à cette disposition étatique, les tâches  dans les centres de santé publique sont réparties entre un  médecin de santé publique, les responsables d‘unités de soins, et les agents préposés pour le nettoyage. « Le suivi se fait essentiellement par trois supervisions trimestrielles au troisième, sixième et neuvième mois et par une évaluation quand le Ministère décide », précise une infirmière du centre de santé de Godomey qui requiert l’anonymat. 


Quel  plan de gestion dans nos centres de soins ?

La situation dans les centres de santé publique  est loin d’être satisfaisante pour les DBM malgré les dispositions règlementaires et statutaires. Ces centres disposent d’un certain  nombre de poubelles indispensables pour un conditionnement adéquat des DBM. «  Ici au CHD de Porto Novo  c’est le service hygiène qui gère les DBM.  Mais à ce que je sache,  au début les incinérateurs actuellement sont insuffisants car la population s’accroit de plus en plus. On a donc recourt  à certaines ONG, mais je doute de leur compétence »,  chuchote dame Nadjo du pavillon pédiatrique. «  On a des renforcements de capacité régulièrement sur la  base technique mais le gros problème est  niveau de conscience élevé sur les dangers liés à la mauvaise gestion des déchets biomédicaux et ça c’est personnel »,  ajoute-t-elle.
Dans les centres de santé privés la situation est aussi irrégulière qu’indescriptible. Dans sa blouse blanche, un bonnet et un cache nez descendu au menton, l’infirmier  de garde déclare : « ici à la clinique Mahoussi,  il y a un ONG qui s’en occupe, allez poser la question à leur siège, vous chercher ce qui ne vous regarde pas! »  On ne saurait pour autant être certains des centres confessionnels religieux. Une descente au centre de santé catholique de Menontin à Cotonou, a attiré la suspicion du personnel. Aux dire des uns, le Centre de santé aurait subi la rigueur de la loi, pour mauvaise gestion de déchets biomédicaux. Toutes les tentatives pour écouter les responsables ont été vaines. On se poserait la question de savoir ce que ce centre cache? Toutefois la réaction inattendue de l’infirmier chef  Bertold de la clinique privée « Azonnigbo » de Fifadji, un quartier populaire de Cotonou,  redistribue les cartes. Très à l’aise derrière son bureau, l’infirmier chef Benin se plaint du traitement fait aux déchets biomédicaux collectés par les ONGs chargés du ramassage des ordures dans les ménages. Les responsables des établissements générateurs de ces différents déchets accordent peu d’importance à leur élimination sécuritaire et ont une faible propension à payer pour les services d’élimination.

Penser autrement

 La  dissimulation des informations dans les centres de santés confessionnelles comme celui de Ménontin et la rétention ou l’opacité  des informations dans  les centres de santé publique telles CHD de Parakou,  nous amène à toucher l’aspect sensible de la dbm.  «Nous sommes conscient du problème de déchets biomédicaux, surtout dans les entités privées. Toutefois la manière dont nous appréhendons le problème jusque-là  n’est pas la bonne. Il existe des plans des politiques mais le problème demeure cela signifie que nous devons prendre le taureau par les cornes », conseille, un responsable du  service hygiène et assainissement.
Il serait bien que l’Etat jette un regard beaucoup attentionné sur les Ong en charge de la destruction de ces déchets et une relecture et restructuration des textes s’avère incontournable.


Encadré
Une législation encore en souffrance

Le droit béninois puise ses sources dans la Constitution du 11 décembre 1990. Plus particulièrement dans la Loi-cadre sur l’environnement du 12 février 1999, et dans quelques décrets, arrêtés et guides produits par les institutions concernées. La Constitution, en son Article 27 dispose que «Toute personne a droit à un environnement sain, satisfaisant et durable et a le devoir de le défendre. L'Etat veille à la protection de l'environnement». Des dispositions réglementaires ont été mises en place pour protéger le citoyen dans son environnement. Le Ministère de la Santé a élaboré un Programme national d’hygiène et d’assainissement de Base (Pnhab) qui accorde une priorité élevée à la gestion des Dbm. En plus, il a élaboré une Politique nationale d’hygiène hospitalière dont la vision est d’avoir des structures sanitaires conformes aux normes, propres et au sein desquelles les risques infectieux sont réduits. Dans le domaine spécifique des déchets biomédicaux, le décret du 15 novembre 2002 sur la  gestion rationnelle des déchets biomédicaux et la loi du 21 octobre 1987 sur le code d’hygiène publique (et son décret d’application du 18 décembre1997) impose l’incinération des déchets de toutes natures issus des hôpitaux et formations sanitaires. Par ailleurs, cette même loi interdit de déposer des immondices ou détritus sur les places publiques, de mélanger des produits toxiques ou pharmaceutiques aux ordures ménagères et surtout d’incinérer les déchets combustibles en pleine ville et en plein air. Pour une meilleure application du  décret du 2 avril 1996 sur la création de la Police Environnementale et la Loi-Cadre sur l’Environnement ont été  mise en place. A ce jour ces textes règlementaires ont servi  de cadre de référence pour une gestion rationnelle et écologiquement durable des Déchets Biomédicaux au Bénin et des initiatives ont été prises. De plus, un code de gestion des déchets biomédicaux a également été rédigé mais la grande question est celle de la pérennité de ces projets.
Prisca M. NEKEYAN




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