A l’issue d’une session de
négociation tenue du 20 au 24 janvier 2014 à Dakar, l’Afrique de l’Ouest et
l’Union européenne ont levé les dernières divergences sur le texte de l’Accord
de partenariat économique en négociation depuis plus d’une dizaine d’années. L’accord
intervenu à Dakar au niveau des hauts fonctionnaires marque la fin des
négociations techniques et ouvre la voie à une phase entièrement conduite par
les politiques et les diplomates.
La société civile ouest
africaine, dans ses composantes les plus larges et les plus diverses, prend acte de la décision de conclure les
négociations mais exprime ses plus
vives préoccupations sur le caractère bâclé de la conclusion de la négociation.
Celles-ci portent sur trois sujets majeurs, entre autres.
- Accès au marché
Pour la première fois, l’Union
européenne a accepté une offre d’accès au marché de moins de 80% sur une
période plus longue que 15 années. Toutefois, la renonciation par l’Afrique de
l’Ouest à d’importantes exigences économiques et stratégiques pour conclure à
la hâte, dans une urgence injustifiée, apparait comme une fuite en avant
imposée par l’agenda de la Commission européenne. Ceci confirme l’argument
défendu par la société civile selon lequel l’insistance de l’UE pour une
libéralisation de 80% n’était nullement motivée par une volonté de rechercher
la compatibilité avec l’OMC mais simplement par celle de pousser l’Afrique de
l’Ouest à l’ouverture la plus large possible.
- Programme de l’APE pour le développement (PAPED)
Sur un dossier aussi important
que le Programme de l’APE pour le développement (PAPED), l’Afrique de l’Ouest a
renoncé à l’exigence de ressources additionnelles
(en plus des ressources Fond européen de développement traditionnelles) pour
le financement de ses projets et programmes. Pire, pour un financement initialement
estimé à 9.5 milliards d’euros et revu à 15 milliards d’euros, l’Afrique de
l’Ouest se contente de l’annonce par la Commission européenne, sans aucun engagement,
d’un montant de 6.5 milliards d’euros. Ce financement annoncé par la partie
européenne n’est rien d’autre que le recyclage des fonds européens de
développement dont l’accès a toujours été hors de portée pour de nombreux pays.
Cette décision confirme encore les arguments avancés par la société civile
depuis 2010, selon lesquels le PAPED est une coquille vide.
- La clause NPF
De même, l’Afrique de l’Ouest,
renonce aussi à la position jusque là défendue sur la clause de la Nation la
plus Favorisée (NPF). En acceptant ainsi d’étendre à l’Europe tout
avantage plus favorable accordé à un pays comptant pour plus de 1.5% du
commerce mondial ou groupe de pays comptant pour plus de 2%, l’Afrique de
l’Ouest perd un espace politique et stratégique important pour le renforcement
de la coopération Sud-Sud et l’accès à d’importantes sources de financement et
de technologies.
Taxes à l’exportation
De surcroit, alors que l’ensemble
des régions africaines encore en négociation défendent le maintien des taxes à
l’exportation, qui sont d’importants outils pour accélérer l’industrialisation,
la diversification et la transformation économique, l’Afrique de l’Ouest, sans
aucune prise en compte de ses enjeux de politiques sectorielles, a déjà accepté,
depuis fort longtemps de geler les taxes existantes et de renoncer à introduire
de manière souveraine de nouvelles taxes.
Incohérences avec les politiques régionales
Dans sa forme et son contenu
actuels, il est raisonnable de penser que l’APE en rajoutera aux difficultés de
mise en cohérence des politiques sectorielles de l'Afrique de l'Ouest. En effet
l'inexistence d'une politique commerciale régionale effective articulée aux
politiques agricole et industrielle, constitue un handicap majeur qui peut
entraver la mise en œuvre de l'accord et porter un coup aux dynamiques de
développement enclenchées depuis quelques années. L'Afrique de l'Ouest
laisserait ainsi la proie pour l'ombre et sacrifierait ses intérêts à moyen et
long termes sur l’autel des prétendues opportunités immédiates qui
découleraient de la coopération commerciale avec l’Union européenne.
Opportunité politique manquée par l’Afrique de l’Ouest
La Commission européenne souhaite
visiblement conclure l’APE à n’importe quel prix pour éviter que les demandes
légitimes des régions africaines ne perturbent
le prochain sommet Europe-Afrique prévu en avril 2014, comme c’était le
cas en 2007 à Lisbonne. Or la même contrainte aurait dû être utilisée par les
négociateurs ouest-africains pour obtenir plus de concessions de l’Europe.
Appel aux Chefs d’Etat
La société civile ouest-africaine
demande aux Chefs d’Etat de l’Afrique de l’Ouest de prendre de la hauteur et de
refuser d’être les interlocuteurs directs des commissaires européens. Les
commissaires européens doivent traiter avec les commissaires de l’UEMOA et de
la CEDEAO et le Président de la commission européenne avec les Présidents des
Commissions ouest-africaines (UEMOA et CEDEAO).
Le processus en cours
actuellement, en vue de la conclusion de l’APE, est devenu non transparent et
techniquement hasardeux. La société civile ouest-africaine attire l’attention
des Présidents des Commissions de l’UEMOA et de la CEDEAO sur le fait que pour
une région composée majoritairement de PMA, l’APE ne saurait faire l’objet d’un
simple compromis politique et diplomatique. Cet accord n‘a jamais été une
simple affaire de diplomates et de politiques. Cet accord aura un impact sur le
futur économique de l’Afrique de l’Ouest, les moyens de subsistance et la vie
de ses citoyens. Il doit être le fruit d’une construction économique dynamique
reposant à la fois sur les besoins de développement actuels de la région et sur
ses atouts et son potentiel de transformation dans le futur.
Nos demandes :
Compte tenu de ces enjeux, la
société civile ouest africaine demande :
-
l’organisation sans délai d’un Comité ministériel de suivi de l’APE
(CMS) inclusif et ouvert, conformément au schéma qui a prévalu dans les
négociations depuis le début, pour présenter le fond et la forme de l’Accord de
Dakar à l’ensemble des Etats et créer les conditions d’un échange fructueux sur
les différentes parties de l’Accord ;
-
l’évaluation de l’accord avant sa signature et le partage de toute
l’information utile avec les parties prenantes au niveau national et
régional ;
-
la mise sur pied d’un mécanisme de consultation, d’information et de
formation des parlementaires afin qu’ils agissent en connaissance de
cause ;
-
l’organisation de consultations populaires larges pour informer les
citoyens ouest africaines et recueillir leurs avis avant la signature de l’APE
Conformément à son rôle et aux
engagements qu’elle a toujours assumé, la société civile ouest-africaine procèdera
elle-même aux analyses et évaluations nécessaires pour identifier les enjeux et
défis, forces et faiblesses de l’Accord, dans sa forme et son contenu actuel,
et informera les populations ouest africaines dans tous les pays.
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