BENIN : QUAND ALLONS-NOUS PRENDRE LA BONNE ROUTE ?



« Sérieux budgétaire, croissance et emploi, compétitivité ». Ces propos du Président français, François Hollande esquissent la trilogie opérationnelle de gouvernance et de garantie de perspectives positives de bien-être pour un pays et ses habitants, les citoyens. Placée sous ce prisme de perception, la gouvernance n’a d’autre issue que de donner espoir à une population jeune en dominance, prête à s’engager dans le combat pour faire régner l’ordre, l’ordre public et l’intérêt général.

Pascal Aktipa

 Il en ressort qu’il n’est possible de gouverner un Etat lorsqu’on ne détient les manettes des indicateurs économiques, avec un regard obligé sur l’environnement immédiat, pour peu qu’on ne feigne d’ignorer les influences interactives des contextes particuliers les uns sur les autres, car ces interactions provoquent inéluctablement, sinon une chute, du moins, un abandon des faibles sur le quai.
Le contexte sous régional de la concurrence incontournable et obligatoire ne souffre aucune faiblesse ni contre performance interne; autrement dit, tout bouge, les autres bougent, sous la direction éclairée d’un leader dans un bassin de consensus et d’entente commune autour d’un minimum auquel chaque membre du groupe adhère et prend sa part, fut-ce avec réserve, un minimum tout de même qui fait avancer pas à pas, des pas perceptibles, tangibles et démontrables, chaque pas tenu gagné, une victoire sur l’immobilisme, la léthargie, le cercle vicieux, la défaite. Cela a un nom : le progrès ; il est mental, psychologique, voulu, défendable, cher à la communauté et ses membres. Là réside le vrai défi: pouvoir engager chaque membre de la communauté à coopérer, à se sentir concerné par le cheminement décrété ou librement consenti, le parcours proposé, sans s’interroger sur les retombées de son engagement ; comment obtenir que l’individu accepte de s’effacer au profit du collectif, du général et de l’universel utile? Nous n’y sommes malheureusement pas encore. 

Qu’est-ce que j’y gagne ?

« Qu’est-ce que j’y gagne ? », elle subsiste encore malheureusement, cette interrogation. En guise de diagnostic : pourquoi une telle persistance de l’égocentrisme destructeur, facteur par excellence de blocage de toute initiative de fédération des énergies autour d’un idéal de développement ? Pourquoi une telle résistance à la marche commune vers le progrès ?
Je voudrais à cette étape de ma réflexion appeler Henri Lacordaire au secours pour dire qu’ «on ne peut régner sur les hommes quand on ne règne pas sur leur cœur.» No comment !, diraient les anglo-saxons.
Pendant que tout bouge autour de nous, il nous semble avoir opté au Bénin,  pour l’alliance avec les forces de freinage et du recul. A qui la faute ? L’explication qu’on pourrait y trouver réside tout simplement dans la peur, l’inquiétude, l’incertitude. Et pourquoi ? Le fonctionnement chaotique et peu harmonieux de notre société en dit long. Le règne de l’individualisme souverain, maître des rapports sociaux entre individus et membres de la communauté semble en être l’explication première. Des règles transactionnelles faussées depuis la base. Le silence ou l’absence de l’arbitrage de la puissance publique dans son rôle de régulation des rapports contractuels entre particuliers. La démission tout simplement. Le pire est que, du fait de l’accoutumance, de l’habitude à voir les choses ainsi fonctionner cela (l’anormal) paraît normal. Accommodation ? Non ; résignation. La place est ainsi laissée  au règne de la loi du plus fort, du plus habile, à la victoire du plus « faux ». Oui, c’est le moins vertueux qui gagne ici et qui a souvent une certaine justice pour lui.
Est-il possible que le règne d’un tel esprit de malsaine concurrence, de truanderie, abrité par un contexte politico-économique délétère favorise l’émergence d’une société d’idéal commun ? Il est permis d’en douter.

Les causes du malaise sont connues

Le drame dans tout cela, c’est que les causes du malaise ambiant sont connues, visibles et évidentes, sans que nul n’ait véritablement le courage de s’y attaquer.
Gouvernants indécis, de probité non éprouvée, citoyens révoltés, résignés et impuissants, forces politiques déboussolées, forces ouvrières désorientées, journalisme des chiens écrasés, presse à sensation (dite orgueilleusement professionnelle), société civile peu écoutée, désemparée et bon marché, jeunesse durablement sacrifiée…, en somme, avenir incertain, ténébreux et extra sombre.
Ayant fait l’expérience comme certains privilégiés de visiter d’autres espaces, - ce que je tiens pour une opportunité d’élargissement de mon champ de vision, de perception et des considérations - j’ai pu me rendre compte du retard de mon contexte (retard par rapport aux autres, retard par rapport à un certain nombre de choses), ce qui n’est nullement en soi un problème. Le problème à mon avis est simplement qu’on n’est pas encore décidé à se mettre en route. Faire le point, diagnostiquer les causes profondes du retard, inventorier les ressources susceptibles de permettre d’amorcer le parcours progressiste, inventorier les oppositions, les menaces, les forces, les opportunités, les alliances, les pesanteurs, les traditions qui enchaînent, en extirper les valeurs, etc.
Au demeurant, il importe de se connaître, de connaître le béninois tout court et particulièrement le béninois actuel et diagnostiquer avec lui ses réelles ambitions et motivations. Le fonctionnement actuel des systèmes politique, économique, social et culturel de ce pays n’inspire, à mon humble avis, que la chiquenaude, la désespérance, tellement sont ambiants la désolation, le découragement, l’ennui, l’inquiétude, la débandade et le sauve qui peut.
Je veux bien que l’on me démontre que ce pays, le Bénin, garantit la quiétude à ses citoyens. S’agit-il pour autant que l’on donne à manger à tous ? Encore que cela pourrait constituer une question de souveraineté nationale. L’Etat a la responsabilité d’assurer à tous ses citoyens la satisfaction des besoins primaires en favorisant et créant pour chacun, des conditions d’accès à un minimum ? Cela n’est pas possible, m’objectera-t-on ? Mais, y a-t-on jamais réfléchi ?
Qu’est ce qui a amené certains systèmes pas plus favorisés que le nôtre à inventer l’armée du salut ? Pourquoi ne le ferait-on pas chez nous ? Les choses n’évolueraient-elles pas en mieux si l’on s’occupait mieux de l’homme tout court, de l’individu, de l’inconnu pour autant qu’on a conscience qu’il fait partie de l’ensemble et qu’il existe : « il n’est de richesse que d’homme » ; encore faudrait-il s’en occuper et en faire un élément utile de production, de consommation et de construction. Evidemment, l’homme qui a faim n’est pas un homme libre. Il est prêt à tout, rien que pour assouvir un besoin d’instinct. Et on n’y peut rien malheureusement. 

Quelle explication on donne…

Quelle explication donne-t-on aux multiples et incessants vols à mains armés, aux braquages meurtriers, à la circulation des drogues et stupéfiants, à la dangereuse prolifération des points de vente de produits inflammables, à toutes les formes de pollution?
Rien d’autre que la misère, la pauvreté, le chômage, la précarité pour expliquer tout cela : « de quoi vais-je vivre si je n’exerce pas cette activité ? » Au mépris de l’ordre public tout simplement. Les nuisances, peu importe ; le voisinage, abstraction ; la moindre réaction, déclaration de guerre. Pourtant, l’on a bien conscience des dangers, des catastrophes, du naufrage collectif.
Un ministre de la République disait que la quantité d’essence en circulation est suffisante pour embraser, incendier toute la ville de Cotonou.
Le moins compréhensible est que certains esprits avisés avancent l’argument de l’occupation génératrice de revenus pour justifier cet état de choses. Conclusion, la société fonctionne au rythme incongru de la satisfaction des besoins alimentaires.
Vous avez bien dit besoin alimentaire ? Le fonctionnaire d’Etat est-il également concerné par ce besoin ? Vie-t-il lui aussi dans la précarité ? Sinon, qu’est ce qui justifierait ses comportements prévaricateurs ? On me parlera encore du système ; toujours le système, mais quel système ? Celui-là justement qui ne protège pas l’individu. Du moment où il ne se sent pas protégé, il est normal qu’il assure sa sécurité par tous les moyens à sa portée. L’intérêt général, peu importe ; qu’est-ce qui me revient à moi, individu, lorsque j’accomplis le ‘’devoir pour lequel j’ai été recruté et pour lequel je perçois un salaire’’ ? Lorsque je n’y trouve pas mon intérêt, je n’agis pas ou j’agis mal ou à contretemps, ou je fais autre chose. Et ce phénomène n’est nullement l’apanage du simple fonctionnaire. Il réplique tout simplement l’exemple projeté par le chef, le supérieur hiérarchique du plus haut rang. Moralité, il faut profiter autant que possible de sa position, multiplier les occasions d’enrichissement illicite et sans cause ; tout cela pourquoi ? Parce que l’Etat a refusé de prendre ses responsabilités et que les dirigeants ont semblé avoir renoncé à l’intérêt général.
En effet, en l’absence d’une politique générale de santé, de logement, de l’emploi et de sécurité sociale, il n’y a pas mieux à espérer. Le Béninois, fut-il agent de l’Etat, n’a pas les moyens de se soigner d’une part, de se soigner convenablement d’autre part. Il n’a pas davantage les moyens de se loger d’une part, de se loger convenablement d’autre part. Il est définitivement inquiet pour ses vieux jours. Pour cela, il organise sa propre sécurité sociale. Au besoin, il veut être propriétaire de toutes les terres qu’il va vendre et revendre à X acquéreurs. Sans en être réellement propriétaire, il le simule à la faveur d’un flou orchestré et il opère en toute quiétude jusqu’à la découverte, trois ou quatre décennies plus tard, du fameux pot aux roses ; et quid du sort des pauvres paisibles acquéreurs de bonne foi ? Désarroi et déroute; le foncier... ! Moralité : les Béninois ne sont pas en sécurité.
En réalité, d’où tenons-nous cet attachement bestial et grégaire à la terre ? Loin d’en avoir été témoin, j’ai ouï dire qu’il suffisait d’une bouteille de liqueur dans le bon vieux temps (qui n’est pourtant pas si lointain) pour occuper une portion de terre. La bouteille représentant le symbole de l’amitié, de la courtoisie et de la révérence au premier occupant des lieux. Comment a-ton pu glisser de la bouteille aux centaines de millions que coûte aujourd’hui une parcelle de 500 m2 dans certaines grandes villes ? Tout simplement parce que l’Etat reste absent, indifférent et pas concerné par les transactions entre individus, si ce n’est l’impôt ou les taxes qu’il peut en tirer. On se plaît à dire que les logements coûtent cher. Pour quelles raisons ? Qui en fixe les taux et qui décide de leur augmentation? Occuper un logement dans la grande ville, plus qu’un défi est tout simplement, l’enfer. Une belle expression populaire illustre d’ailleurs bien le phénomène : c’est une tontine dont on ne collecte jamais les fruits. Je veux être rassuré si l’on me prouve que cela se passe ainsi partout ailleurs. Tout au moins, j’ai le témoignage quelque part que, contrairement à chez moi, le prix du loyer - d’un bâtiment réalisé depuis la nuit des temps - n’augmente pas simplement des suites d’un renchérissement du coût de la tonne de ciment. Curieuse indexation. Voilà les bases factices et artificielles sur lesquelles fonctionne la société béninoise. Jusqu’à quand ? « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit», a affirmé Henri Lacordaire.  Il faut que l’Etat prenne ses responsabilités à un moment donné.

Que fait l’Etat pour assurer le contrôle des prix ?

Que fait l’Etat pour assurer le contrôle des prix et maîtriser ainsi l’inflation ? Libéralisme économique, est-ce synonyme de non interventionnisme intégral ? Pendant que l’Etat est fait la promotion des filières coton et riz, que fait-on des filières tomate, orange et autres, en attendant l’installation des usines de transformation. Que fait-on de la pauvre paysanne gémissant devant sa récolte de tomates dans laquelle elle a mis tous ses espoirs et qui lui est restée sur les bras faute de preneur?
Le secret de la réussite des autres, c’est l’organisation, cette espèce d’entente tacite autour d’une certaine fiction destinée à propulser le corpus social. L’engagement autour d’un idéal défini auquel tendent tous les comportements publics ; il faudrait ici qu’on nous l’enseigne, aussi longtemps que cela sera nécessaire, car, cela nous manque cruellement, puisque nous en sommes encore piteusement à faire fi et à ignorer l’ordre public, la discipline individuelle dans les espaces publics, le respect du bien public, etc.
Les autres citoyens du monde ne gèrent pas leurs nations comme nous le faisons au Bénin. Allusion à notre tendance à affaiblir l’Etat pour des causes personnelles éphémères. 
Pour autant que je puisse me le permettre, je voudrais inviter les partis politiques à arrêter de surfer dans un univers astral déconnecté des réalités de nos sociétés, encore enracinées dans le vieil âge. La grande majorité de nos concitoyens n’ont que faire des théories politiques savamment agitées lors des congrès et autres rencontres des formations politiques où très peu de participants comprennent quelque chose à ce qui y est professé. Il y a nécessité de repenser le débat politique et d’y intégrer la formation à la citoyenneté responsable, le patriotisme, le vrai, le réel ; celui qui fait prendre conscience de l’importance et de la primauté de la patrie; la patrie ou la mort ; comprendre que l’honneur de la patrie est en jeu du fait de la concurrence sous régionale implacable et chaque citoyen détient sa part implicite de responsabilité pour rendre la nation compétitive.
La France dans son fonctionnement n’a de cesse de se mesurer à l’Allemagne. L’Europe tout entière tient à défier les Etats Unis. La Chine fait trembler tout cet ensemble. Pendant ce temps, les Grecs font les frais de leur manque de « sérieux budgétaire », résultant des fraudes fiscales massives, de l’insincérité des comptes de l’Etat. J’ai encore en mémoire, cette fronde parlementaire au sujet d’une certaine « indiscipline budgétaire» fustigée par certains élus du peuple. Une chose est sure, les lois qui gouvernent le monde restent immuables et les tricheries finissent toujours par rattraper les tricheurs. 

Nous aimons beaucoup tricher...

Serait-il excessif d’avouer que nous aimons beaucoup tricher au Bénin ? Et nous n’avons pas encore compris que c’est le premier facteur de notre retard. Sinon, pourquoi tant de controverses autour du coton ? Pourquoi tant d’opacités autour des divers concours d’entrée à la fonction publique ? Pourquoi tant de malentendus autour des réformes portuaires ? Pourquoi tant de dissensions autour du football ? Et parlant de cette discipline sportive, quel football voulons nous promouvoir dans un contexte économique aussi décousu ? Depuis toujours, j’ai pu observer que les pays africains souvent représentés à la coupe du monde de football sont ceux, tout au moins, à revenu intermédiaire. C’est dire la corrélation sine qua non entre performance économique et performance sportive. J’espère qu’on me comprendra. Les preuves : les résultats du Bénin au championnat africain d’athlétisme de Porto Novo, les résultats des ambassadeurs béninois aux J.O de Londres. Moralité : pas de prouesse sportive sur fond de famine et de pauvreté. Tant que la question de l’autosuffisance alimentaire réelle ne sera pas entièrement réglée, il nous reste encore du chemin. C’est dire en somme que tout est lié.
L’action publique doit s’évaluer à l’aune des réponses aux préoccupations des béninois et non,  alignée sur les appréciations du FMI qui du reste, n’est ni le peuple béninois d’une part et dont les priorités, d’autre part, résident plutôt dans la capacité de solvabilité durable du Bénin.
Le président français, auteur de la trilogie du début de ces lignes, interpellé sur la baisse de sa côte de popularité et la déception de ses compatriotes, n’a pas cru devoir verser dans des invectives publiques pour rassurer et convaincre ses concitoyens. C’est ce que je souhaite également pour mon pays. Des discours rassurants rassembleurs et mobilisateurs, en lieu et place des propos qui sortent l’opposition, piquée au vif, de ses gonds pour un dernier baroud d’honneur. La communication au sommet de l’Etat. N’est-il pas temps de réinventer des formules fédératrices dans les déclarations officielles ? La politique est la science au service de la résolution des problèmes de la nation et non un jeu d’esprit dans lequel on met tout en œuvre, y compris les contre-vérités, pour montrer et démontrer que c’est l’autre qui a tort, s’il n’est pas tout simplement traité de mauvais perdant ou suspecté de convoiter une position à laquelle il n’aurait pu accéder. Dans cet ordres d’idées, chercher à évangéliser à tout prix, tous les propos du chef, c’est de la fourberie; lui apporter son soutien alors qu’on est soi même convaincu du contraire, c’est de l’imposture publique.

Loin de toute prétention de magister dixit, je reste profondément convaincu que je n’apporte rien de substantiellement nouveau au débat ; tout simplement, voudrais-je m’employer à partager une certaine vision du caractère peu prometteur des mécanismes de fonctionnement de ma société qui m’a l’air de ressembler sous bien des aspects à une jungle, royaume de Talion.  

Pascal ATIKPA , administrateur civil 

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