Lutte contre les violences faites aux femmes : Quand loi et tradition chassent à Ouidah



 
            L'entrée d'une des maisons de Dagbo Hounon à Ouidah

La tradition au Bénin est accusée d’être un terrain favorable aux violences faites aux femmes.  La loi n° 2011-26 portant prévention et répression des violences faites aux femmes, votée par l’Assemblée nationale, le 27 septembre 2011 et promulguée par le président de la République en janvier 2012, prévoit des dispositions punissant les auteurs de tels sévices. Dans la commune de Ouidah, les gardiens du temple expliquent les valeurs traditionnelles qui permettent de réfuter toutes ces accusations.

 Marie-Louise BIDIAS MATCHOUDO

Ouidah, ville située au sud du Bénin à 35 km de Cotonou, est un exemple de bastion défendant les valeurs traditionnelles. Originaire d’un village environnant, madame Favi Apolline est veuve. Elle affirme avoir été cloitrée sur place pendant 1 an après le décès de son mari, avec l’interdiction formelle de se peigner les cheveux et l’obligation de se laver à des heures tardives. Déclarations corroborées par des sages qui avancent que si elle se lave dans la journée, son mari défunt pourrait venir se laver avec elle. Si c’est le cas, des  répercussions néfastes, comme sa mort  ou l’atteinte d’une maladie grave, peuvent se retourner contre elle. Aussi, lui était-il interdit de sortir et même de serrer la main à quelqu’un.
Monsieur Fanou ressortissant de Ouidah, a lui aussi  perdu sa femme, mais son traitement est différent. Le jour même où sa femme est décédée, les anciens lui ont amené une autre femme, afin qu’elle vienne dormir à ses côtés. En plus, il est libre de sortir et de vaquer à d’autres occupations. Cette situation de deux poids et deux mesures à l’égard des femmes n’est pas inconnue des structures compétentes.
Au commissariat central de Ouidah, des cas de plaintes de femmes ayant été violentées sont enregistrés. Le commissaire adjoint confirme l’existence des procès verbaux relatifs auxdits cas. Toutefois, précise-t-il, la consultation de ces documents est subordonnée à une autorisation du procureur de la République. Le Centre de promotion sociale de la ville affirme recevoir également des cas de plaintes de femmes ayant subi des violences. Mais, la résolution des différends ne leur est pas du tout facile du fait des pressions dont ils font l’objet. « Les pressions viennent de toute part et les femmes mêmes ne nous rendent pas la tâche aisée» déclarent les responsables. Certaines femmes, en proie aux menaces de leur belle famille, reviennent retirer leur plainte, de peur de représailles.
La ville historique de Ouidah, a des rites et coutumes  dont la tradition en est la grande symbolique. C’est ainsi que tous les 10 janvier sur le plan national et particulièrement dans cette ville, le vodun est célébré en grande pompe. La tradition présente se fait toujours pesante et la femme, sexe faible, se trouve toujours maintenue dans cet étau.  

Des chiffres et la loi 

D’après le Rapport d’étude 2009 sur les violences faites aux femmes au Bénin menée par l’Observatoire de la famille, de la femme et de l’enfant (OFFE), les femmes et les filles béninoises sont sujettes à des rites et pratiques traditionnelles qui constituent aussi des violences à leur égard. Les types de violences les plus fréquemment observées sont d’ordre physique (74%), moral (74%) et psychologique (29%). C’est surtout dans le milieu rural (75%) que cette forme de violence est fréquente. 69 % de femmes ont déclaré avoir subi des violences au moins une fois dans leur vie. Les formes de violences les plus courantes sont les propos injurieux (88%) et la bastonnade (75%). Les moins courantes sont la séquestration (8,5%), l’excision (8%), les cicatrices de punition, les scarifications (7%) et l’assignation à des rites traditionnels et religieux (6%).
A  l’issue de moult tractations et de plaidoyers conduits par les Organisations de la société civile, l’Assemblée nationale du Bénin a délibéré et adopté en sa séance du 27 septembre 2011, la loi no 2011-26 portant prévention et répression des violences faites aux femmes. Cette loi prévoit des dispositions punissant les auteurs de violences à l’égard des femmes.
En effet, parmi les pratiques traditionnelles préjudiciables aux femmes, la loi cite, dans son article 3 quelques actes tirés des usages et coutumes qui portent atteinte à la femme. Il s’agit notamment des interdits alimentaires en cas de grossesse ou d’accouchement, du gavage qui consiste à nourrir exagérément les filles mineures en vue de les rendre physiquement aptes au mariage, des rites de veuvage dégradants,  des atteintes à la liberté de mouvement de la femme et des pressions sur la femme par le biais des enfants.
L’objectif principal de la loi,  est de lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles et de fournir une réponse pluridisciplinaire auxdites violences. « Par le vote de cette loi, la femme du Bénin jouit d’une sécurité juridique qui garantit son intégrité physique, morale et sociale », affirme Pascal Atikpa de l’ONG CeRADIS.

Le sens de la tradition

Cependant, Dagbo Hounon, défenseur de la tradition,  explique encore  le bien fondé de certaines pratiques. « Les scarifications, sont-elles faites seulement aux femmes ? Elles dépendent du vodun auquel la personne est consacrée », souligne-t-il. Les scarifications raciales sont faites par amour, par obligation, par alliance ou par servitude. Pour le veuvage, c’est d’abord l’œuvre des femmes elles-mêmes et si elles le font, c’est par amour. « Les femmes veulent observer certaines dispositions pour qu’on sache qu’elles aiment à mort leur mari », poursuit-il. Aujourd’hui, le veuvage ne dure plus autant de temps. Il y a des cérémonies spécifiques pour permettre à la femme de rejoindre au plus vite son poste de travail. « D’ailleurs la femme peut profiter de ses congés administratifs pour répondre à ces pratiques », déclare-t-il.
« La femme a le droit à la parole. Le principe veut tout simplement que l’un parle après l’autre. C’est au nom de l’amour et du respect qu’elle ne voudrait pas contredire son mari, même en public », affirme Dagbo Hounon qui précise qu’on ne contredit pas son supérieur hiérarchique dans les réunions publiques administratives,  mais plutôt « on lui souffle à l’oreille ».
Ya Kankan Makan, la cinquantaine d’âge est chef de culte vodun. Un foulard blanc noué sur la tête et vêtue de colliers de perles significatives, approuve les déclarations du dignitaire. Elle se présente comme une gardienne du culte vodun qui ne pourra jamais disparaître. « Igbo Minan » est le nom originel de ce culte qui vient du Nigeria. Selon ses explications, quand les périodes de célébration arrivent, les femmes sont convoquées, à cause du rôle important qu’elles jouent. Elles sont les mères. Ce sont elles qui appellent le vodun, qui lui donnent de l’eau et des noix. Elles sont les exécutantes. Présentes tout le temps, elles préparent à manger et s’occupent de la distribution. Cependant, cette dame ne nie pas que quelquefois, des femmes soient victimes de violence, telles que les bastonnades, les agressions sexuelles et même des viols. « Quand de pareils cas surviennent, je convoque les concernés », poursuit-elle avant d’ajouter que : « c’est très important, car notre vodun ne se met pas en spectacle. Les sanctions sont appliquées, puisqu’il faut prendre le vodun au sérieux ».
« Dire que la tradition et particulièrement le vodun promeut les violences faites aux femmes est une aberration », poursuit Dieudonné Demidé.  Ce chef du fâ, (une autre divinité qui consulte sur les problèmes actuels et futurs),  ressortissant de Ouidah, a 15 années de pratiques sur ses trente ans de vie. Pour lui, « dans la tradition, la femme est très respectée ». S’appuyant sur des chiffres de consultation du fâ et des récits, il précise que le chiffre 1211, signifie « Pouela » « Toula Medji ». Il explique que par ce signe, il peut reconnaitre si le mari est soucieux. Mais dès que sa femme arrive, tous ses soucis disparaissent. Il estime qu’il faut suivre et respecter tout ce qui vient d’une femme, car depuis toujours, la femme a été d’une puissance admirable. Par contre, selon le fâ, les chiffres 1122 et 2111 qui signifient « fortunamiror » et « kapultedraconis »  permettent de comprendre que durant toute sa vie : « il faut prendre soin de sa femme, surtout prendre en considération tout ce qu’elle dit et  ne jamais tenter de la brutaliser ou de la réduire ».
Dagbo Hounon Houna II, chef spirituel suprême vodun Hwendo de Ouidah, nie l’assertion selon laquelle le vodun  fait la promotion des  violences faites aux femmes. Dans le vodun, les femmes sont plus nombreuses que les hommes. On ne peut donc pas persécuter la majorité des personnes et des adeptes, car elles ont une emprise sur le pouvoir. « Le monde traditionnel est guidé par des principes : la tolérance à outrance, la cohabitation pacifique et l’acceptation de la différence», poursuit-il. 
Au-delà de ces gardiens du temple qui récusent la thèse des violences faites aux femmes, il y a le sociologue et professeur, Honorat Aguessy, actuellement directeur-fondateur de l’Institut de développement et d’échanges endogènes (IDEE) de Ouidah. Selon lui, en dépit de quelques cas déplorables, la tradition et le vodun ont toujours exalté et célébré la femme au regard de sa place primordiale dans la société, et ce  par des récits de bonnes cultures.

Perspectives

Si la justice a prévu des sanctions pour punir les auteurs de violences faites aux femmes, le tribunal du vodun n’est pas resté muet à leur égard. C’est pourquoi, de tous temps il sévit avec ses propres sanctions les coupables du non respect des us et coutumes. Le conflit d’interprétation des deux tendances passe donc par l’établissement de passerelles entre la tradition et la loi. Le professeur Bio Bigou, ancien parlementaire et ancien président du Réseau des parlementaires sur les questions de population et de développement, conseille qu’il faut vulgariser cette loi et surtout la traduire dans les langues nationales. « Pour les atteindre, il faut tenir compte de leur contexte culturel et social. C’est ainsi que vous pourrez atteindre leur cœur. Le contexte socioculturel est extrêmement important. C’est une opportunité à saisir. Pour la saisir, il faut une grande capacité d’écoute, de dialogue sincère. La manière d’aborder est extrêmement importante », conclu-t-il. Pour toutes ces explications, la tradition n’est  nullement en contradiction avec la loi.

Enquête réalisée grâce à l’appui de l’Association des Journalistes d’Investigation du Danemark sur le financement de l’IMS.


                                         Na Defon Quenum-2 de Ouidah

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