Exploitation pétrolière en Afrique: entre espoir et malheur


Avec aujourd’hui 376.4 millions de tonnes de pétrole par an, le soit 10.6 % de la production mondiale l’Afrique s’attend à jouer un rôle croissant sur le marché du pétrole à mesure que de nouveaux gisement sont découverts. Cette manne qui fait le bonheur des multinationales profite-t-elle en réalité aux Etats et aux citoyens ?

Marie-Louise Bidias M.


La production pétrolière de l’Afrique a pratiquement doublé en une décennie, passant de 5,7 à 10,3 millions de barils par jour. En tête de cette performance, cinq pays que sont le Nigeria, l’Algérie, l’Angola, la Libye et l’Egypte qui représentent à eux seuls les trois quarts de la production du continent. L’Afrique subsaharienne compte plus de neuf pays producteurs de pétrole : le Nigeria, l’Angola, le Congo-Brazzaville, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Cameroun, le Tchad, la République Démocratique du Congo (RDC) et le Soudan.
Plusieurs autres pays devraient bientôt les rejoindre.
De nouveaux producteurs font leur apparition sur la scène pétrolière africaine et des compagnies pétrolières internationales, petites et grandes, se voient octroyer des licences d’exploration sur tout le pourtour de l’Afrique de l’Ouest, de la Mauritanie à Madagascar. Certains Etats africains sont producteurs de pétrole depuis plusieurs décennies.
Certains des pays producteurs comme le Gabon et le Cameroun, semblent avoir entamé leur déclin et devraient cesser de produire du pétrole dans les prochaines années.
Ces compagnies en question
Pour extraire de telles quantités de pétrole, ces pays africains font appel à des multinationales pour la plupart américaines et européennes. Mais de plus en plus, des sociétés asiatiques et autres. La scène pétrolière d’Afrique sub-saharienne a été  longtemps dominée par la compagnie française Elf, l’anglonéerlandaise Shell et, dans une moindre mesure, l’américaine ChevronTexaco. (Elf a fusionné avec Totalfina(résultat du mariage de la compagnie française Total et de la compagnie belge Petrofina)). Total (nouveau nom de TotalFinaElf) est active dans tous les Etats producteurs d’Afrique sub-saharienne, à l’exception du Soudan et du Tchad. Environ la moitié des réserves mondiales du groupe français sont situées dans le Golfe de Guinée. Shell, de son côté, est historiquement dominant au Nigeria, tandis que ChevronTexaco est depuis longtemps le principal opérateur en Angola.
Certes, il existe des entreprises nationales qui ont été mises en place par certains pays producteurs, et qui jouent un rôle croissant. Mais, les compagnies étrangères comme Total, Shell, BP, Eni et Repsol ont été traditionnellement les plus actives. Ainsi, pour Total, le premier producteur international de pétrole en Afrique, en 2008, ce continent représente 45% de sa production mondiale de pétrole et 14 % de celle de gaz. Pour sa part, en 2008, Eni a réalisé 54% de sa production pétrolière en Afrique.
Bien que les compagnies américaines soient présentes en Afrique depuis des années, la ruée vers le pétrole africain semble prendre une tournure de plus en plus franchement américaine. ExxonMobil, ChevronTexaco, et, dans une moindre mesure, des indépendants comme Amerada Hess, Vanco, Ocean ou Marathon, s’arrachent les nouveaux permis. Ces compagnies américaines projettent ainsi d’investir massivement en Afrique, les Etats Unis ayant déclaré faire de l’Afrique leur nouvelle priorité en matière d’approvisionnement énergétique et de relations commerciales. Ainsi, 80%  des 85 milliards de dollars générés par les exportations de l’Afrique vers les Usa, ont été générés par les hydrocarbures.
La  ruée vers le pétrole africain ne se limite pas aux compagnies européennes et américaines. Chinois, Japonais, Indiens, Malais, Coréens, Moyen-Orientaux, Latino-Américains, Russes, se ruent vers l’Afrique. Et le monde entier est en train de courir pour prendre sa part du gigantesque gateau à la crème. Des compagnies quittent l'Asie pour l'Afrique car elles obtiennent des accords plus profitables de la part des gouvernements africains. Le coût des licences et le partage des profits avec les gouvernements y sont plus avantageux qu'en Asie.
Des compagnies comme la compagnie pétrolière d’Etat malaisienne, Petronas, et la compagnie publique chinoise Cnpc (Chinese national petroleum corporation), sont également de plus en plus présentes sur le continent, notamment au Tchad et au Soudan.
La division du travail est faite entre, d’un côté, les SuperMajors, et, de l’autre, les compagnies indépendantes poursuivant des politiques d’investissements plus risquées. Ces indépendants se concentrant sur les pays « à la marge », signant des contrats d’exploration dans l’espoir de réaliser une découverte importante.
Parce que le terrain est particulièrement favorable, ces compagnies s’installent sans se voir obligées de respecter les normes environnementales, salariales et sociales qui sont en vigueur au plan international.
Le cas du Delta du Niger
La situation du Delta du Niger, l’une des zones du continent les plus riches en pétrole, résume à elle seule toutes les pratiques de ces multinationales.
Situé à l’embouchure du fleuve Niger au sud du Nigeria, le Delta du Niger s'étend sur 70.000 km2. Il est l'une des plus grandes zones humides au monde. Presque la moitié du Delta est couverte de forêts de mangrove. Les forêts de mangrove au Nigeria sont les plus grandes d'Afrique et classé 3ème écosystème au monde. Ainsi, sur les 9730 km2 de forêts de mangrove présentes sur le continent africain, 7000 km2 appartiennent au Delta du Niger.
C'est à l'intérieur de cette mangrove que se situent les plus grands gisements de gaz et de pétrole du Nigeria. Aujourd’hui, ce patrimoine écologique est en état de disparition avancée du fait du non respect des normes diverses et particulièrement environnementales par les pétroliers qui y opèrent. La plupart des oléoducs mis en place,  il y a plus de quarante ans pour l’évacuation du produit n’ont jamais été remplacés. Ils sont à l’heure actuelle, couverts de rouille, de fissures et des ruptures fréquentes s’y produisent. Tout ceci cause le déversement du pétrole dans le Delta et  fréquemment des incendies sur les plans d’eau. Aucune stratégie de nettoyage des marées noires causées par ces ruptures n’a été mise. A chaque fois,  que les compagnies pétrolières sont rappelées à l’ordre, elles prétendent que des déversements sont dus à des actes de sabotage ou de vol de pétrole de la part des trafiquants. Mais des chercheurs indépendants déclarent de leur côté que ces causes ne sont responsables que de 15% des déversements, le reste devant être attribué à de mauvaises pratiques d'ingénierie, parmi lesquelles l'absence de remplacement des installations et des oléoducs délabrés.
Les perdants dans toute cette l’histoire, ce sont les habitants du Delta qui se voient obligés de changer leur mode de vie. L’agriculture et la pêche étant désormais impossibles à pratiquer. La détérioration des conditions de vie s’est
accompagnée d’une désintégration des structures politiques, d’une augmentation des violations des droits de l’homme liées au pétrole et de la violence en général.
Si ce cas paraît extrême et singulier, les autres zones d’extraction du pétrole ne sont pas pour autant épargnée du péril écologique. Partout, le pétrole profite rarement aux populations locales. Souvent, les recettes issues de cette rente sont gérées hors circuits officiels, ce qui favorise des détournements massifs de revenus. Par ailleurs, la clé de partage entre compagnies étrangères et Etats est rarement à l’avantage de ces derniers.
Le partage du gâteau pétrole
Plusieurs structures se sont levées pour protester contre cette situation. Ainsi, Catholic relief services (Crs) estime que les gouvernements d’Afrique sub-saharienne vont recevoir plus de 200 milliards de dollars de revenus pétroliers au cours de la prochaine décennie. L’échec des politiques de développement dans la plupart des pays dépendants des revenus pétroliers est flagrant. C’est comme une contradiction. Comment comprendre que les populations de ces pays soient les plus pauvres, malheureuses et manquent de tout. Les pétrodollars engendrés ne les aident aucunement à lutter contre la pauvreté. Dans la majorité des cas, ces pétrodollars contribuent au contraire à les enfoncer encore un peu plus dans le sous-développement. Il urge que des dispositions soient prises pour promouvoir une redistribution équitable des revenus pétroliers.
Entre autres, les gouvernements africains bénéficient des revenus du secteur pétrolier à travers les taxes, les impôts, les royalties, les bonus de signature, leurs parts dans les accords de partage de production et les joints ventures. Chaque pays producteur est  la seule autorité légale qui puisse attribuer aux compagnies internationales le droit d’opérer sur leur territoire national.
Chacun mène les négociations avec les compagnies sur les modalités de partage des bénéfices tirés de l’exploitation du pétrole. Le pourcentage des parts revenant à l’Etat dépend donc du rapport de forces entre le gouvernement et les compagnies pétrolières.
Dans certains pays producteur, le détournement des revenus du pétrole est une pratique habituelle. Plusieurs pays producteurs du pétrole, sont  très endettés. Comme les pressions internes sur les dépenses publiques augmentent, les gouvernements s’endettent de plus en plus, allant jusqu’à hypothéquer les revenus pétroliers.  L’endettement des Etats pétroliers africains envers les agences de crédit à l’exportation est très remarquable. En Afrique centrale, le pétrole, pomme de discorde par excellence, fait partie des joyaux du «domaine présidentiel».
A l’intérieur même des Etats, la répartition des richesses générées par le pétrole n’est pas des plus équitables. En témoigne cette déclaration des évêques catholiques de l’Afrique Centrale, en 2002 à Malabo en Guinée Equatoriale. «Notre pétrole est encore, dans bien des cas, la réserve financière privée des pouvoirs en place... L’Afrique centrale croupit dans la misère en dépit de la découverte croissante de puits de pétrole… Notre engagement, en tant qu’Eglise en Afrique Centrale, par rapport à la question du pétrole, ne relève pas d’une ingérence dans le domaine réservé des Etats. Nous sommes témoins de la souffrance du peuple auquel nous appartenons. Notre mission prophétique nous impose de lancer un appel du coeur à tous ceux qui participent à l’exploitation du pétrole dans notre zone ou qui détiennent une parcelle du pouvoir politique et économique».

Publié dans www.mayromagazine.com le Dimanche, 04 Septembre 2011 à 04:59



 

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