Commerce de carburant au Bénin: le combat affectueux contre la contrebande



L’essence importée du Nigeria par voie de contrebande règne en maître au Bénin, mettant en péril les propriétaires de stations qui, pourtant, paient les taxes. Si les gouvernements qui se sont succédé ont toujours affirmé déclarer la guerre aux contrebandiers, aucun n’a jamais manifesté la volonté réelle d’en finir, malgré les victimes collatérales que ce commerce sulfureux cause au sein de la population.

Marie-Louise Bidias M.

«L’Etat perd environs cent vingt-cinq (125) milliards de francs Cfa par an à cause du commerce illicite des produits pétroliers. Ce qui représente environ 45% de la marge salariale du Bénin. C’est  l’équivalent de cinq mois et demi de salaire des agents permanents de l’Etat», affirme Soulé Bio Goura du Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (Lares) à Cotonou.
Le marché parallèle du commerce de l’essence frelatée appelé localement  «Kpayo» ne cesse de croître. Il couvre actuellement près de 85% de la demande au Bénin. Même des institutions et structures étatiques s’approvisionnent  dans le secteur informel pour leur besoin en carburant. Selon une enquête de l’Institut national de statistique et d’analyse économique (Insae) réalisée en 2005, 72,7% des dépenses en  consommation ces structures étatiques proviennent de l’informel.
Démarré dans les années 80, la vente de l’essence frelatée a pris de l’ampleur avec la crise économique qui a secoué le Bénin en 1988-1989 sous le régime marxiste léniniste. Malgré les passages des différents régimes, ce commerce ne cesse de prospérer. La disparité des prix entre le Bénin et le Nigeria, due d’abord à la différence de politiques économiques entre les deux pays (forte subvention au Nigeria), favorise le développement des échanges frontaliers et l’intensification des flux illicites des produits pétroliers. Cette différence de prix a provoqué une forte affluence des commerçants béninois vers la zone frontalière et les Nigérians ont rapidement compris le profit qu’ils peuvent tirer de cette situation. Ainsi, à  la station, le litre d’essence coûte actuellement 575 F Cfa, tandis que sur le marché parallèle il est entre 250 et 300 F Cfa.
La poudrière
C’est toute une chaîne de personnes qui s’activent autour de cette filière tant au Bénin qu’au Nigeria. L’essence frelatée une fois acheminée vers des entrepôts frontaliers, est déversée dans de grandes cuves mises en terre, ou dans de fûts de 200 litres. C’est alors le tour des grossistes ensuite de prendre le relais. Ils disposent des stocks de près de 1000 litres d’essence et exercent au terminus des voies d’eau ou le long de la frontière du nord au sud, entre les deux pays. Puis les semi-grossistes et les détaillants assurent la vente des produits aux consommateurs. Beaucoup parmi ces acteurs utilisent les mineurs comme main d’œuvre.
L’enquête du Lares, révèle qu’il y a environ 50.000 vendeurs de produits, un nombre particulièrement élevé lorsqu’on sait que la fonction publique béninoise ne compte qu’un effectif de 78.000 agents. Aucune localité du Bénin n’est épargnée par le commerce de l’essence de contrebande. Ainsi on compte selon les estimations environ  45.000 points de ventes, dissimulés dans toutes les villes et à travers les villages. Certaines localités du Bénin, sont d’ailleurs très pauvres en stations d’essence.
Exerçant en dehors des circuits officiels, les acteurs de cette filière ne paient aucun impôt. Les recettes budgétaires de l’Etat béninois étant entièrement fiscales, ce commerce entraine un manque à gagner important. Mais les autorités, tout en déclarant leur intention de lutter contre la contrebande, adoptent dans les fait une attitude plutôt complaisante.
Les raisons de cette contradiction sont multiples. Au premier rang, la filière absorbe une partie de la main d’œuvre qui, autrement, serait vouée au chômage. Au Bénin, le secteur informel est le plus grand pourvoyeur d’emplois. Il paie peu d’impôts, mais réclame aussi peu de l’Etat. L’autre raison du silence des gouvernements successifs est que les prix pratiqués par les vendeurs de ce carburant permettent de désamorcer des crises qui découleraient de la hausse des prix à la pompe.
Mais tout ceci ne va pas sans conséquences, parfois graves. Stocké en toute ignorance des normes en la matière, le carburant de contrebande a fini par transformer certains quartiers en de véritables poudrières prêtes à exploser à la moindre étincelle. Par ailleurs, à en croire certains médecins, les conditions dans lesquelles ce commerce se fait sont responsables de plusieurs maladies enregistrées dans les centres de santé. De plus, la mauvaise qualité de cette essence est un risque tant pour les moteurs que pour l’environnement.

Publié dans www.mayromagazine le Samedi, 10 Septembre 2011 à 09:50
 


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