Bénin/ Maltraitance des personnes du 3ème âge: Quel clair sombre au soir de sa vie !


Etre démuni et âgé au Bénin aujourd’hui, constitue un fardeau difficile à porter pour le 3ème âge. Maltraitance, rejet, mépris, indifférence et maladie, sont souvent leur lot quotidien. En ce temps  où le nouveau virus corona (Covid-19) se répand dans toutes les couches de la société, le sort réservé à cette tranche de la population n’est guère enviable, malgré des politiques et actions mises en place  pour y remédier. Enquête.

Marie-Louise Félicité BIDIAS

Veiller au bien-être des personnes âgées est...

A un centre hospitalier de Cotonou, Paulin, un vieil homme âgé de plus de 70 ans  croupi au service d’urologie. Hospitalisé depuis plus de un an maintenant, il attend comme un soulagement, le jour de sa mort. Ce sont des problèmes de  santé de ses reins qui l’ont conduit là où il se trouve. Depuis lors, à l’aide d’une sonde médicale, il se traine  difficilement, aidé par son épouse, elle aussi déjà fatiguée par le poids de l’âge.
Assis sur le bord de son lit d’hôpital, le vieil homme, amaigri à l’extrême, de teint plus que mât et pâle, s’exprime difficilement. Un pagne noué, complètement déteint, sur ses reins, torse nu et un masque de protection en  tissu encadre la totalité de son visage plissé. Un vieux poste radio et deux statuettes jumélaires, ses compagnons quotidiens, font guises de protection contre tout mauvais sortilège. « Je ne sais plus si je serais un jour encore autorisé à sortir de cet hôpital », gémit-t-il. Sous son lit, comme bagages : des petits colis dans des sachets en plastiques  noirs contenant du linge usagé, de la vaisselle, des casseroles, quelques vivres de fortune, un fourneau à charbon et des sceaux. En plus d’eux, leur petite fille, 6 ans, comme enfermée dans une coquille, vivote dans cet univers sombre aux senteurs médicamenteuses laissant à désirer.
Dans plusieurs grandes agglomérations du Bénin, dont  la ville de Cotonou, le sort de certaines personnes  du troisième âge demeure une équation à plusieurs inconnus. Les plus démunies surtout subissent toutes sortes d’humiliations et de mauvais traitements. La pandémie du Covid-19 qui a frappé de plein fouet le monde entier ne les ayant pas épargnés, du fait de leur état général déjà fragilisé.
Mamy Rebecca Ahui, 75 ans, du fait de son état de santé a dû quitter la concession familiale de son mari, dans un quartier populaire de la place pour venir dans un autre. « Je vis dans cette maison en bambou, avec ma petite fille. Tous mes enfants et mon mari sont décédés depuis. C’est son petit commerce de divers produits de première nécessité qui nous aide à nous nourrir ». Là encore, c’est une chute dans la cours de la maison qui a paralysée, depuis lors, ses deux pieds. « Je suis restée allongée au sol, me tordant de douleur et appelant de l’aide, mais personne n’étant présent, mes cris ont été vains. N’eusse été notre voisin, qui avait oublié son portable à la maison, qui m’a trouvé dans cet état. Il m’a conduit dans le centre de santé le plus proche », se souvient-t-elle encore. Couchée sur une natte de fortune dans un intérieur d’une étroitesse surprenante, elle déclare que depuis deux mois, elle ne peut plus se déplacer. « Je me sens inutile et m’ennuie à longueur des journées », se lamente-t-elle, d’un ton faible, en langue locale fon, sous une quinte de toux roque.
Estimée à 43 millions d’individus en 2010, la population mondiale des personnes âgées de 60 ans ou plus en nombre absolu devrait, selon les projections, passer de 900 millions en 2015 à 1,4 milliard en 2030, puis 2,1 milliards en 2050, et pourrait même atteindre 3,2 milliards en 2100. En Afrique, l’on observe les mêmes tendances de croissance rapide des personnes de troisième âge, car leur effectif passera en chiffres absolus de 46 millions en 2015 à 147 millions en 2050 (Oms, 2015).
Le Bénin n'est pas resté en marge de ces bouleversements sociodémographiques. En effet, les effectifs de la population des personnes du troisième âge ont connu également une forte croissance atteignant actuellement plus d'un demi-million d’individus (Rgph4, 2013). Selon les données statistiques, de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (Insae) environ 600 000 personnes âgées ont été enregistrées en 2013 contre 374 549 en 2002. Les projections annoncent même une population plus croissante à l’horizon de 2025.
C’est  dans ce contexte que de plus en plus de personnes du troisième âge sont victimes de maltraitance. Dans le pays où la majorité des travailleurs sont dans l’informel où il n’existe aucun dispositif d’assurance, de retraite et autres. Certaines personnes âgées vivent souvent mal, sans aucun soutien. Elles ne peuvent que compter sur la générosité de leurs enfants. Et quand ceux-ci n’ont pas les moyens pour le faire, la difficulté demeure !
« Nous sommes souvent traités d’oiseau de mauvaise augure, on nous prodigue toutes sortes d’injures pour des rien du tout », s’apitoie Papy Juste, 80 ans révolu. Cet ancien militaire déclare encore que quand quelqu’un vieillit son cercle d’amis diminue, il devient exclu pratiquement de la société. «Pourtant, il n’est pas permis à n’importe qui d’atteindre le troisième âge », se défend Bouriana Akadiri Daguia, vice-présidente de la plateforme des personnes âgées du Bénin (Plateforme Pta-Bénin). 

Un sort qui laisse à désire

 « La maltraitance des personnes âgées consiste en un acte unique ou répété, ou en l’absence d’intervention appropriée, dans le cadre d’une relation censée être une relation de confiance, qui entraine des blessures ou une détresse morale pour la personne qui en est victime.  C’est donc une violation des Droits de l’Homme, qui recouvre les violences physiques, sexuelles, psychologiques ou morales », formule l’Oms. De même que l’abandon, la négligence, l’atteinte grave à la dignité et le manque de respect.
« Les personnes du troisième âge jouent un rôle de gardien de la mémoire transmettant ainsi des savoirs et des valeurs à la société », juge la directrice départementale des affaires sociales et de la microfinance du littoral, Geneviève Arawo. Elle explique encore que le gouvernement a responsabilisé les Centres de promotion sociale (Cps) pour offrir un accompagnement de proximité aux personnes âgées de leur zone d’intervention.
Juste Lavenir Boko, secrétaire général de la Plateforme PtA-Bénin, juge que le pays est toujours  à la traine en Afrique en ce qui concerne la prise en compte des personnes âgées. « On ne planifie pas comme les occidentaux qui se basent sur des statistiques précises pour faire des projections concrètes. En Afrique, nous n’avons pas encore la vraie reconnaissance de la valeur de la personne humaine », explique-t-il.  De l’avis de la Ministre Marthys Adidjatou, des efforts restent à faire pour concrétiser les ambitions du gouvernement en matière de soutien aux personnes âgées. Le Programme d’action du gouvernement (Pag, 2016-22021)  d’ailleurs, au niveau du troisième pilier, « améliorer les conditions de vie des populations », a défini l’orientation « renforcement des services sociaux de base et protection sociale » qui prend en compte les questions de l’éducation, de la santé, du genre et des personnes âgées.

Des initiatives porteuses, mais encore insuffisantes

Pourtant plusieurs initiatives existent pour aider les personnes du troisième âge en difficultés. Ce sont les cas des maisons de retraite, encore insuffisantes. On peut citer jardin Saint Camille de Savi, le centre des Oblates catéchistes Petites servantes des pauvres de Tokan et de Porto-Novo (cette dernière, ouverte en janvier 2020), qui abritent des pensionnaires indigents, sans famille, choisi selon certains critères bien définis. De même, à Agblangandan (dans la commune de Sèmè-Podji), un centre d’accueil des personnes âgées dépendantes. Le centre accompagne  les personnes qui manquent de soutien, car elle constitue une cible vulnérable. Il met en place des outils d’épanouissement pour leur permettre d’être heureuses de vivre.
En dehors de cette solidarité organique, il existe la solidarité familiale qui se manifeste par les aidants, les voisins et la famille. L’intégration sociale des PTA souffre de l’absence des programmes de bénévolat ou des projets fondés sur la solidarité intergénérationnelle.
L’article 26 de la Constitution béninoise stipule bien que « L’Etat protège la famille et particulièrement la mère et l’enfant. Il veille sur les handicapés et les personnes âgées ».
Depuis lors plusieurs actions sont menées pour éliminer la maltraitance des personnes âgées. Du guide alimentaire pour les personnes âgées à la politique holistique pour le vieillissement en bonne santé (2017-2026) et son plan d’action, en passant par l’étude diagnostique sur l’identification des besoins spécifiques des personnes âgées. De même, l’avant-projet de loi portant accès des personnes âgées aux services sociaux de base est déjà sur la table des députés.

...un impératif pour notre société aujourd'hui.

Des solutions pour sortir de l’engrenage

Juste Lavenir Boko estime que l’Etat, doit considérer les personnes âgées comme des valeurs sûres. « Indépendamment de leur bagage intellectuel, de leur situation. Il faut qu’on puisse savoir qu’on a affaire à une personne humaine. Commencer par les associer dans tous les secteurs de développement. Mettre en place des structures de personnes âgées dans chaque commune où les élus locaux comme les populations puissent aller chercher des conseils », conseille-t-il.
Paulin Gandonou, infirmier insiste que dans le contexte de la pandémie du corona virus : « il faut sensibiliser davantage les jeunes et les familles à prodiguer des soins particuliers aux personnes âgées, pour éviter qu’elles se contaminent et ne décèdent, compte tenu de leur fragilité ».
Des experts de l’Oms proposent pour prévenir la maltraitance, des interventions comme des campagnes de sensibilisation du public et des professionnels, des dépistages des victimes et des auteurs de violence, des soutiens aux personnes, non sans oublier une collaboration étroite entre différents secteurs dont l’éducation et la santé. Non sans compter aussi toutes les actions et mesures prises  et mises en place par le Comité international de la Croix rouge.
Une chose est sûre, qu’on le veuille ou non : on vieillira bien un jour et la roue tournera, mais de quel côté !



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