La
baisse de la production halieutique et l’expansion démographique grandissante entrainent au Bénin de graves
détériorations des conditions d’approvisionnement des populations en poissons. Dans
ce contexte, la pisciculture est un rempart pour suppléer à la pêche
continentale. Seulement, l’alimentation des poissons d’élevage constitue une
équation souvent difficile à résoudre. Elle tient compte de la farine de
poisson, une denrée dont l’accessibilité demeure encore problématique au Bénin.
Marie-Louise
Félicité BIDIAS
Un étang pour la pisciculture
Abomey-Calavi, banlieue de
Cotonou. L’unité de recherche halieutique et aquatique de l’Inrab (Institut
national de recherche agricole du Bénin) s’étend à perte de vue. Des dizaines
de bassins géants contenant des poissons à divers stades de leur développement,
surgissent de l’eau, frémissant de joie dès que les agents lancent quelques
granulés. Deux espèces sont élevées dans ce centre. Il s’agit du tilapia (Areochromis niloticus) et du silure
africain (Clarias gariepines), des espèces les plus usuelles en pisciculture.
Au Bénin, au sein des ménages, la
place du poisson est très déterminante dans la fourniture de protéines avec
31,9% des protéines d’origine animale et 5,5% des protéines totales. Le
professeur Emile Didier Fiogbé, de l’Université d’Abomey-Calavi, révèle que
« la demande en alimentation en
protéines animales est élevée et correspond environ à 15 kg par habitants,
alors que la pêche est limitée et qu’un important lot de poissons congelés,
soit 75 000 tonnes sont déversés par jour sur le marché ».
En 2015 déjà, d’après les sources
gouvernementales, les importations de poissons congelés s’élevaient à
73 000 tonnes. Alors que selon les chiffres de 2102, la demande nationale
en poisson était de 113 000 tonnes par an. Plus de 80% de la production moyenne
annuelle proviennent des eaux saumâtres des lagunes.
Mais « Depuis une dizaine d’années, la pêche connaît une régression du
potentiel des stocks halieutiques du fait de la surexploitation des plans
d’eaux intérieurs. Du coup, la
pisciculture est un bon moyen pour suppléer la pêche continentale»,
affirment un groupe de chercheurs dans ‘’La
compétitivité des unités locales de fabrication d’aliments piscicoles au Bénin’’.
La
pisciculture pour parer au déficit
« Le Bénin n’est pas une grande nation de pêche. Tout est généralement
consommé localement. Le nombre de poissons pêché est très insuffisant »,
explique Fabrice Ahomlanto, chef division post-capture à la Direction des
pêches du Ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche. Pour parer
au déficit de poissons, la pisciculture semble la solution la mieux envisagée. Mais,
« reste aussi qu’il faut disposer d’aliments de qualité, à moindres
coûts », déclare Martial Koudérin, Président de la Fédération
nationale des pisciculteurs du Bénin (Fenapib). Ainsi, l’alimentation des
poissons occupe la part belle dans le coût total de production. « Elle représente 78% du coût de production du
tilapia en bassin, 35% pour la production du tilapia en étang et 62% des coûts
totaux de la production du clarias », soutiennent encore les
chercheurs. « La bonne gestion de
l’alimentation détermine à une très grande ampleur, la viabilité et la
rentabilité des entreprises piscicoles », soutiennent-ils.
La majorité des aliments de la
pisciculture provient de l’extérieur, à en croire plusieurs sociétés de vente
locale, ce qui n’est pas sans poser un problème de fiabilité. Une employée de V.
S. (une société que nous citons par ses initiales) à Cotonou, affirme aujourd’hui
ne plus commercialiser la farine de poisson parce que celle qu’elle importait,
et qui venait d’un pays de la sous-région, était de mauvaise qualité. « Depuis près de deux ans, nous avons cessé sa
commercialisation, car la composition de cette farine n’était pas conforme »,
explique l’employée.
Les aliments piscicoles sont
aussi en vente dans les provenderies « puisque la farine de poisson est aussi
utilisée dans la production animale comme source de protéine. Ces structures ne
sont donc pas spécialisées dans la vente de la farine de poisson. Et comme les
gérants et propriétaires de ces provenderies veulent un maximum de profit, la
qualité de la farine de poisson qui y est vendue est parfois médiocre »,
indique le docteur Luc Gangbé, chargé de recherche, chef sous programme
recherche halieutique de l’Inrab. Marcel Goudohessi, en charge du
Contrôle des produits halieutiques et aquacoles, à la Direction de
l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche, de la zone 3, à Ouidah, renseigne même
que la mairie avait un projet
sur Fonds d’appui au développement des communes du Bénin (Fadec), afin de créer
une provenderie, mais qu’elle a dû sursoir au dit projet après qu’un opérateur
économique ait décidé de se lancer dans le même type de projet à Savi, une
localité environnante de la commune.
La
farine de poisson en question
« La farine et l’huile de poisson sont encore considérés comme les
ingrédients les plus nutritifs et les plus digestes pour les poissons d’élevage »,
déclare la Fao (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture). D’ailleurs,
dans son dernier rapport 2020 sur « la situation mondiale de la pêche et
l’aquaculture », elle indique que la farine de poisson est une matière
protéique pulvérulente obtenue après broyage et séchage du poisson ou des
parties de poissons. « Plusieurs
espèces différente servent à la production de farine et d’huile de poisson.
Notamment les poissons entiers principalement les petits pélagiques comme
l’anchois du Pérou, exploités en grande quantité pour cette fin». De l’avis de l’Inrab, l’utilisation de la farine de poisson est techniquement
efficace : « En effet, lorsque
la qualité de la farine est bonne et les quantités sont respectées dans la
formule, cela facilite la croissance rapide des poissons permettant ainsi au
pisciculteur de faire la récolte avant même le terme du cycle de production ».
Fabrice Ahomlanto, chef division
post-capture, déclare que « la
farine de poisson a évolué en mal au Bénin, depuis une dizaine d’années ». Et
d’indiquer encore que : « ce sont
les déchets, les têtes et les arrêtes qui sont souvent broyés. Ils ne sont pas
jetés afin de ne pas polluer l’environnement. Parfois, parmi les poissons qui
sont ramenés, les pêcheurs en laissent pour faire la farine de poisson. Et elle
est conditionnée en sachets, pour servir soit à la pisciculture, soit à
l’élevage pour les poulets et les volailles».
Dame Pauline, vendeuse de petits
poissons et de farine de poisson conditionnée dans des petits sachets
transparents, installée au bord d’une grande voie pavée très usitée de Gbèdjromèdé
à Cotonou atteste, en souriant, vendre aussi de la farine destinée aux
pisciculteurs et éleveurs. « Je vends 50
kg à 8 000 Fcfa et je trouve parfaitement mon bénéfice. D’ailleurs, ma farine n’est pas fabriquée de la même
manière que celle utilisée pour l’alimentation ».
Au village de Djégbadji, dans la
commune de Ouidah (situé à 41 km de Cotonou), Luc Alomasso Atchou, la
cinquantaine et pêcheur depuis des lustres, renseigne que les femmes de la
région viennent souvent acheter des petits brochets fumés pour confectionner de
la farine, qu’elles vendent aux provenderies, une fois le produit fini. « Elles achètent aussi les déchets de
poissons : les têtes, les arrêtes et autres. Ce panier plein à côté, il
servira à cet usage », affirme-il en le montrant du doigt.
Pour l’unité de recherche
halieutique et aquatique de l’Inrab, « Les provendes importées sont utilisées pour les
premières phases de l’élevage des poissons (larvaire et alevinage), alors que
les provendes locales sont utilisées pour le grossissement. Dans nos
provendes préparées localement, nous incorporons la farine de poisson en
provenance du Sénégal de qualité bonne et celle produite localement de qualité
moyenne ».
Solutions
durables
La fabrication d’aliments
piscicoles au Bénin est financièrement et économiquement rentable. Le chargé de recherche, Luc Gangbé renchérit que
« du point de vue économique, il y a
toujours une certaine marge bénéficiaire pour le pisciculteur. Cette marge
dépend de la qualité de farine utilisée et surtout de la complémentation avec
d’autres sources de protéines », ces protéines provenant des vers de terre et des asticots.
Pour rendre pérenne la production
locale d’aliments, les chercheurs suggèrent que davantage de recherches soient
faites sur la manière dont les sources de protéines végétales peuvent être
exploitées dans l’alimentation des poissons. Il s’agira aussi d’orienter les
réflexions sur l’ensemble des facteurs qui déterminent l’accroissement de la
productivité du travail.
La politique de taxation du
gouvernement est aussi un facteur qui démotive les fabricants à poursuivre la
fabrication des aliments locaux. Pour que l’utilisation
de la farine de poisson soit plus rentable en pisciculture, l’Inrab recommande
de créer au moins une unité de fabrication de la farine de poisson au niveau
national. Celle-ci se chargera d’approvisionner les provenderies et
pisciculteurs en produits de meilleure qualité. A travers cette unité, le
programme va s’investir dans la recherche de solutions pour fabriquer la farine
de poisson. Le cas échant, il faut identifier et vulgariser les autres sources
alternatives de protéines qui pourraient être utilisées en pisciculture. L’Etat
ne devrait pas oublier de subventionner l’importation de cet ingrédient qui est
primordial pour toute activité d’élevage, surtout dans la pisciculture. Il se
doit aussi de financer les recherches sur l’élevage de certaines espèces de
poissons qui seront exclusivement destinées à la fabrication de la farine de
poisson.
Il n’en demeure pas moins, selon la Fao, que dans
certains pays de l’Afrique de l’Ouest, la production croissante de farine de
poisson, principalement celle destinée à l’exportation suscite toujours des inquiétudes quant à la sécurité
alimentaire ; car réduisant le nombre de sardinelle et d’éthmaloses
d’Afrique pour la consommation humaine !
Encadré
Des
unités de fabrication locale d’aliments piscicole
Au Bénin, il existe au moins 21
unités de productions de fabrication d’aliments piscicoles répartis sur 17 des
77 communes du Sud Bénin, dont Allada, Tori-Bossito, Ouidah, Porto-Novo,
Sèmè-Kpodji et Ifangnie. Ces unités qui sont tenues pour la plupart par des
pisciculteurs, entrent dans le Projet de vulgarisation de l’aquaculture continentale
(Provac). Une initiative du gouvernement qui entend apporter son appui pour
produire des alevins et des aliments piscicoles. Les matières premières
utilisées pour la fabrication de ces aliments s’étendent de la farine de
poisson, au tourteau de coton, en passant par le tourteau de soja, le son de
maïs, le son de blé, l’huile de palme et les vitamines. Les produits finaux
sont sous forme de granulée. Le processus utilisé se fait en quatre (4) étapes.
Le broyage des matières premières, la formulation de l’aliment, la fabrication
de l’aliment granulé et le séchage. « 48%
de cette quantité d’aliments fabriqués sont destinés à la vente. Le reste est
utilisé directement dans leurs exploitations piscicoles. Le prix moyen de vente
des aliments piscicoles localement fabriqués est de 488 Fcfa/kg. Dont 352 Fcfa dépensés
pour produire un kilogramme d’aliments piscicoles ». (Données de
l’enquête sur ‘’La rentabilité financière
et économique des aliments piscicoles’, 2016’). Pour les chercheurs, la fabrication des aliments piscicoles au
Bénin permet de couvrir les coûts des ressources qu’elle mobilise. De même,
elle contribue positivement à l’augmentation du revenu national. Mais la
qualité des aliments locaux est encore faible par rapport à ceux importés. Il demeure
cependant que les fabricants ne sont pas compétitifs sur le plan hors-prix. Les
contraintes majeures auxquelles ils font face sont relatives à la formulation
des aliments et aux équipements utilisés. Ils estiment que « la majorité des
fabricants ne maîtrisent pas les techniques de formulation de provende, basées
sur le besoin nutritif des espèces de poisson et la composition chimique des
matières premières. Les équipements utilisés sont rudimentaires ».
En effet, la farine de poisson et
le tourteau de soja occupent généralement la part la plus élevée dans les
formules utilisées par les fabricants (respectivement 38% et 24% en moyenne).
En période de pluie, certains fabricants éprouvent des difficultés de séchage
des aliments granulés, car le séchage se fait au soleil. C’est pourquoi d’autres
optent pour ne produire que durant les périodes d’ensoleillement.
ML.
F. B.
Enquête réalisée avec le soutien du
Réseau des Journalistes pour une Pêche Responsable en Afrique (Rejopra)
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