Face à la raréfaction des poissons et pour
satisfaire leurs besoins en protéines animales et renforcer la saveur de la
gastronomie, les populations du sud Bénin exploitent abondamment les
mollusques. Le long de la berge du Lac Nokoué à Cotonou, le long de la lagune
côtière de et Djebadji et dans les villages lacustres et de
Gogotinkpon et Sô-Ava, enfants, femmes et
hommes, vont à la recherche de ces mollusques comestibles, sources
génératrices de revenus afin de leur permettre de sortir de leur précarité. Mais, cela non sans
difficultés et risques !
Marie-Louise Félicité BIDIAS
Étalage de mollusques d'une vendeuse ambulante |
Célèbre, le lac Ahémé est une vaste étendue d’eau au bord de laquelle se trouvent plusieurs communes du sud Bénin dont les arrondissements d’Angbanto et Gogotinkpon dans la commune de Kpomassè. Une terre, le long du chenal, apparaît au loin sur fond de plan d’eau à travers une forêt de mangroves. Le village connaît son activité saisonnière de mollusques pêchés par les femmes, les hommes occupés par la pêche des poissons. D’une touffe de palétuviers à une autre, plongeant jusqu’aux racines des mangroves, elles ressortent les mains fermées et les ouvrent à la surface dans des pirogues attenantes, apprêtées aux alentour.
Dès le mois de mai et durant trois à quatre mois, ces
mollusques sont généralement recherchés par les femmes. Des trésors cachés dans
les mangroves bordant le lac, au niveau des lagunes côtières (Djègbadji, Togbin
et Djondji), le long des rivières de l’Ouest (Mono et Sazué) et à Cotonou dans
la berge du Lac Nokoué en allant à Sô-Ava.
Le mollusque
vu sous toutes ses formes
Pour le Centre national de ressources textuelles et
lexicales (Cnrtl) : « l’huître
est un mollusque, comestible, à coquille bivalve asymétrique (grossièrement
feuilletée à l’extérieur, nacrée à l’intérieur), qui vit fixé, par sa valve
creuse, à un corps submergé ».
Pascale Legué et Jean Prou, dans « L’huître, un coquillage nomade sans tête ni
jambe mais avec un pied », Techniques
et Culture, attestent encore que l’huître sauvage est un
animal qui après deux ou trois semaines de vie au gré des courants marins se
fixe sur un support. Pour
eux, la destinée de l’huître, produit vivant, influe
fortement les groupes sociaux qui l’exploitent. Le lac Ahémé comme le lac Nokoué, renferment de l’eau
douce, ils sont donc salinisés et les
mollusques y abondent.
Communément appelés par les populations
locale ‘’adakpin’’ (langue fon), entre autre usage des mollusques au Bénin, c’est
leur apport dans l’alimentation. Ils servent en effet à confectionner une sauce locale communément appelée « Dja » (A base de tomates, de
mollusques et de crevettes écrasées), qui accompagne d’autres mets comme le
riz, le « ablo » (gâteau local fermenté à base de maïs).
A Gogotinkpon, Odile Tossavi, 47 ans, mère de 5 enfants,
s’adonne à la pêche des mollusques de longues dates. Assise, devant une cuvette
remplie, elle s’active à les faire sortir de leur coquille, sa main gauche
enroulée dans un tissu pour se protéger des éventuelles coupures de son
couteau. « Oui j’arrive à avoir des
bénéfices et à m’occuper de ma petite famille. Sauf que l’activité est
saisonnière », soupire-t-elle. « Il
m’arrive de vendre jusqu’à 3 000 à 5 000 Fcfa par jour ou même plus »,
soutient-elle.
S’exprimant en langue locale Pédah, elle poursuit en
précisant que le matériel utilisé pour exercer cette activité est très
rudimentaire. Les bacs et les pirogues sont généralement communautaires.
« Nous les louons à des prix
forfaitaires de 500 ou 1 000 Fcfa la journée, selon leur grandeur ».
Ahondé, une autre femme déjà âgée déclare : « En dehors de ce matériel lourd, nous utilisons aussi des bassines
géantes, des couteaux et des gants solides. Le coût d’achat de base de tout
ceci est environ de 6 200 Fcfa ». Elle avertit aussi que les
mollusques doivent être conservés dans de l’eau salée pour les empêcher de
mourir.
Dans le village, ce sont les femmes qui s’adonnent à la
capture de ces mollusques. « Aucune
loi n’interdit aux hommes de faire leur pêche. Seulement, les hommes
s’intéressent plus à la pêche aux poissons. Mais, le chômage grandissant dans
les villages et la rareté des poissons étant là, c’est comme ça que certains
hommes commencent à pratiquer la pêche des mollusques », révèle
Olivier Avlessi Zounon, natif du village, agent comptable.
Au bord de la berge du Lac Nokou de Cotonou, au quartier
Ahouansori, Akpovi, pêcheur de mollusques, la cinquantaine témoigne :
« Quand le temps de pêcher les
mollusques arrive, comme maintenant, nous sortons très tôt le matin et à un
certain niveau, nous lançons l’appât sur le lac
pour les attirer. Très aisément, ils viennent s’agglutiner et ensuite
nous les ramassons ». Cet ancien pêcheur reconvertit, déclare d’un ton
triste que c’est la rareté des poissons qui l’a conduit là. « Nous ne commercialisons rien, c’est aux
femmes de s’occuper de cela », hoche-t-il la tête en parlant, le poids
de l’âge et les difficiles conditions de travail ne l’ont pas épargné.
Fabrice Ahomlanto, Ingénieur en technologie alimentaire,
Chef division post-capture à la Direction de la pêche, du Ministère de
l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche,
indique que le ministère ne se penche que très faiblement sur la
question de la pêche des mollusques, et laisse les femmes à elles-mêmes, sans
effectuer de contrôles sanitaires. Pour lui, c’est parce
que l’exploitation des mollusques est vraiment une activité saisonnière et
qu’elle n’absorbe pas beaucoup de monde.
« Nous ne pouvons pas procéder comme avec les femmes qui s’adonnent au
fumage et séchage des poissons », avise-t-il. Pour les femmes
transformatrices de poisson (fumage et séchage), le contrôle sanitaire se fait
avant et après séchage et le fumage. De
même, il faut vérifier la propreté de l’espace, la non contamination, le
conditionnement et la qualité du bois de fumage.
Le long de la route de pêche, en allant à Ouidah (ville
historique, ancien port d’esclaves), la localité de Djébadji est connue aussi
pour sa pêche. La vue de tas de coquilles vides de mollusques empilés et en
vente renseigne de leur proximité, dans la zone. Elles servent généralement de
socle dans la construction et de provende pour les animaux. Le prix de vente
variant en fonction de la quantité de coquilles demandée. Houlahoué
Accrombessi, vendeuse du produit, précise que ce sont les jeunes filles et les
petits garçons qui s’adonnent à leur ramassage. Il se fait soit à pied, soit à
l’aide d’une barque à rame. Le matin, au soleil levant, les ramasseurs
quittent leur logis et circulent dans toutes les directions à la recherche de
ces mollusques aquatiques. « Je
vends mon bol à 1 000 Fcfa et je
gagne bien ma vie. Nous sommes dans la bonne saison. Quelquefois, les pirogues
débarquent remplies de mollusques». Là aussi, elle affiche la même plainte,
l’activité saisonnière la laissant sur sa faim le reste de l’année. « S’il était possible d’en cultiver
tout le temps, je serais prête », selon elle, la demande reste
toujours très forte, même hors saison.
Marcel Goudohessi, en charge du contrôle des produits
halieutiques et aquacoles, à la Direction de l’Agriculture, de l’élevage et de
la pêche, zone 3 de Ouidah, informe que « le contrôle des produits halieutiques, se fait par rapport à l’hygiène,
la chaîne de froid et le matériel respecté, la conservation de ces produits et
leurs manipulations. Tandis que celui des produits aquacoles se situe plus en
pisciculture ». Là encore une attention très faible est accordée aux mollusques
comestibles.
La difficulté d’obtenir les statistiques dans le cas des
mollusques sur le terrain s’est faite ressentir aussi tout le long de
l’enquête. On n’est pas sans ignorer aussi que des menaces et non des moindres
pèsent sur les mangroves. Au nombre
desquels : le manque de visibilité dans la politique et le non respect des
réglementations relatives à la gestion rationnelle des zones humides, car les
écosystèmes sont très fragiles.
La loi cadre du 7 août 2014, relative à la pêche et à l’aquaculture
au Bénin, gagnerait encore à être davantage revue pour accorder beaucoup
d’attention aussi à ces mollusques comestibles
Des blessures aux mains, et aux pieds, dans l’eau durant
des heures, exposés à tout avenant par la fraîcheur de l’eau aux mois de juin,
juillet et août. La montée des eaux au moment des crues entraînant la mortalité
des mollusques, le manque de moyens de déplacement et la vétusté du matériel
utilisé, sont autant de difficultés égrenées par les femmes en majorité et les
hommes aussi rencontrés. Pourtant, lorsque la saison est là, ils n’hésitent pas
à s’y adonner car cela leur procure des moyens de survie.
La suite alors…
On ne discute plus sur le fait que la pêche ne peut plus
désormais à elle seule suffire à répondre à une demande en augmentation
constante. Pour bon nombre, l’aquaculture semble le secteur économique
stratégique pour assurer la souveraineté alimentaire, pour les balances
commerciales. L’exploitation des mollusques comestibles, est aussi une belle
porte de sortie, pour lutter contre la pauvreté en général, et en particulier
des femmes, et leur assurer une autonomie financière.
Cosme Koudenoukpo, du laboratoire hydrobiologique et
aquaculture à l’Université d’Abomey-Calavi démontre: « A l’image de la pisciculture fortement
encouragée, le développement de l’élevage de deux espèces de mollusques
comestibles, l’escargot Laniste varicus et de l’huitre Etheria elliptica,
identifiées permettra de réduire la pression de la pêche sur les ressources
halieutiques, de générer des emplois ». De ses propos, il est
primordial de réduire la pauvreté, assurer des revenus plus élevés et
d’améliorer les économies. « Afin
qu’une production alimentaire suffisante soit accessible aux masses et que les
personnes impliquées dans l’aquaculture mènent une vie meilleure », formule-t-il.
Le manque de moyens adéquats de transformation et de
conservation de ces mollusques, pêchés dans des conditions peu favorables et
encore archaïques, non sans oublier les risque encourus par les femmes et les
enfants. Pour Pascale Legué et Jean Prou, une autre solution pour rendre pérenne l’exploitation des
mollusques peut-faire l‘objet
d’ostréiculture, c'est-à-dire de son élevage. Reste encore que des moyens
soient mis en place et des mesures subséquentes prises. Ce qu’il faudrait,
c’est amener ces hommes et femmes pêcheurs de mollusques à s’organiser en associations, moderniser leurs
techniques de pêche et encourager à grande échelle leur consommation. L’Etat
gagnerait vraiment à s’impliquer davantage et injecter des moyens conséquents
pour les aider cette tranche de la population!
Une pirogue apprêtée pour la pêche au bord du Lac Nokoué |
Enquête réalisée
avec le soutien du Réseau des
Journalistes pour une Pêche Responsable en Afrique (REJOPRA)
Félicitations Marie Louise
RépondreSupprimerUne idée originale, l'investigation journalistique est bien menée et le papier agréable à lire. Félicitations
RépondreSupprimerFélicitations ma Doyenne Marie- Louise pour les efforts consentis dans le cadre de ces recherches très bénéfiques pour la population.
RépondreSupprimerSans toute fois être du domaine journalistique, j'avoue que la lecture est agréable et nous renseigne comme si nous étions en direct de toute l'activité
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